Dilemme du droit criminel
Le droit criminel : au sens strict, le droit des crimes (catégorie la plus grave
d'infraction). En réalité il faut prendre le droit criminel au sens large :
ensemble des règles de droit qui organisent la réaction d'un Etat à la
commission d'une infraction. Dans cet ensemble, on trouve plusieurs
catégories de règles ; dans le droit criminel il y a d'abord le droit pénal général
(droit qui fixe les principes généraux de la répression pénale), le droit pénal
spécial (étude des infractions prises individuellement), la procédure pénale, la
pénologie (étude de l'application de la peine), et enfin la criminologie (étude du
phénomène criminel).
Pourquoi dilemme ? Le dilemme, c'est que dans toutes ces matières (et surtout
dans les trois premières), l'Etat est confronté à deux considérations
contradictoires : d'un côté la protection de la société, impliquant des
règles de droit pénal sévères, et de l'autre la protection des droits de
l'individu, particulièrement de l'auteur de l'infraction, impliquant des règles de
procédures très souples. Le casse-tête des législateurs, c'est de savoir à quel
point d'équilibre il faut placer le droit pénal
I- Le phénomène criminel
II- La réaction de l'Etat
III- La définition du droit pénal général
§1) Le phénomène criminel
A toutes les époques et dans toutes les sociétés, on assiste à des phénomènes
de délinquance (du latin linquere : tracer des lignes, le délinquant : celui qui
dévie de la ligne majoritairement admise par le groupe)
A) La définition juridique du phénomène criminel
Pour qu'un phénomène soit qualifié de criminel, il doit remplir plusieurs
conditions :
– L'infraction pénale est toujours un fait. La simple pensée n'est pas
punie pénalement. Pas d'infraction sans activité matérielle.
– Il faut que ce fait soit contraire à l'ordre social : il doit violer une
valeur que la société considérait comme essentielle. Ex : en moyenne 95 000
condamnations pour vol par an, 50 meurtres par an. Le vol est l'infraction la
plus fréquente. Le droit de propriété est une valeur considérée comme
essentielle, elle est défendue pénalement. Ex 2 : l'homicide volontaire protège
une valeur sociale : la vie. Les violences volontaires : porter atteinte à
l'intégrité corporelle.
Cependant, le manquement à un devoir moral n'est pas toujours une infraction
pénale. Ex : Le suicide est réprouvé par la plupart des religions, mais n'est pas
,pénalement punissable en droit français. L'adultère a été dépénalisé par la loi
du 11 juillet 1975.
La violation d'un droit subjectif n'est pas à elle seule une infraction pénale. Ex :
l'inexécution d'un contrat : la vente fait naître des droits et des obligations
(droit pour l'acheteur sur la chose, droit pour le vendeur de recevoir le prix). Si
le vendeur ne remet jamais la chose, il y a violation des droits subjectifs, et
pourtant ce n'est pas une infraction pénale. Inversement, si l'acheteur ne paye
jamais le prix, ce n'est pas pénalement puni.
– Il faut que ce comportement soit puni par la loi pénale. C'est le
principe de la légalité.
– Il faut qu'il soit puni de sanctions étatiques, car seul l’État exerce le
droit de punir.
B) Les causes du phénomène criminel
La recherche des causes du phénomène criminel est une préoccupation
récente : pendant très longtemps, on se contentait de réprimer les infractions.
C'est au 19è siècle que se développe l'étude de la criminologie (discipline qui
poursuit deux objectifs : identifier la cause du phénomène criminel, et essayer
de voir quels sont les remèdes que l'on peut proposer à ce phénomène). Les
fondateurs de la criminologie sont trois italiens : Lombroso (1835-1909),
médecin. On lui doit la théorie du criminel-né : pour Lombroso, la cause de
la délinquance est interne à l'individu, elle est perçue comme une
maladie ; il dresse un portrait robot, dessiné, du délinquant, suite à de
nombreuses visites en prison : le délinquant pour Lombroso est un homme au
regard perçant, méchant, de petits yeux enfoncés dans les orbites, il a le
cheveu rare, le front fuyant, une pilosité corporelle supérieure à la moyenne,
une démarche lourde et des avants-bras très longs.
Ferri (1856-1929), professeur de droit, avocat, va publier « Sociologie
criminelle », où il évalue le milieu dans lequel vivent les condamnés, et
explique que le phénomène criminel est un phénomène complexe : il y a
plusieurs facteurs de délinquance, certains propres à l'individu,
d'autres propres au milieu dans lequel il évolue (la misère, la
prostitution, le chômage, l'aliénation mental, la faiblesse psychologique). C'est
l'ensemble de ces facteurs qui peuvent conduire certains à la délinquance.
Garofalo (1851-1934) magistrat. Publie en 1885 « La criminologie » où il
dégage un concept, le concept d'état dangereux. C'est la résultante de
facteurs contradictoires. Chez toute personne il y a des facteurs d'adaptation et
des facteurs de délinquance. En d'autres termes : le délinquant, ça peut être
tout le monde, puisqu'on a tous en nous les germes de la délinquance. Le
passage à l'acte intervient lorsque les facteurs de délinquance l'emportent sur
les facteurs d'adaptation. C'est ce que Garofalo appelle un état dangereux.
Les facteurs d'adaptation : la santé, la famille, l'emploi... Les facteurs de
délinquance : pathologie, addiction, famille déstructurée, pas d'emploi... Il faut
insister si l'on veut réduire la délinquance, sur les facteurs d'adaptation ; il faut
les traiter comme on traiterait un malade, mais en lui rappelant un certain
nombre de règles de droits, de principes moraux, etc.
La théorie de Lombroso a été reprise dans les années 50 aux Etats-Unis, avec
la théorie du « chromosome du crime », sans suite.
, §2) La réaction sociale au phénomène criminel
L'Etat se défend contre celui qui viole ses règles, grâce à deux moyens.
A) Les moyens répressifs
1- L'incrimination
C'est l'acte législatif ou réglementaire par lequel est définie une
infraction. Ex : le droit à la grasse matinée incrimine le fait de faire du bruit le
dimanche avant 11h du matin. L'incrimination, c'est rendre un acte licite,
illicite (et non pas le fait de condamner une personne !). Elle a deux
fonctions : une fonction répressive (on incrimine un comportement
dangereux pour qu'il soit réprimé, puni, afin de protéger le groupe social et de
dissuader les délinquants potentiels), et une fonction expressive (elle
exprime les valeurs protégées). Le code pénal est en ça un outil d'ethnologie :
les incriminations expriment les valeurs fondatrices du groupe.
Remarque : il y a parfois des ruptures dans ces fonctions. Ex : il y a des
incriminations qui protègent des valeurs qui ne sont plus considérées comme
essentielles. Ces incriminations sont très rarement poursuivies. Dans l'ancien
code pénal (le code pénal napoléonien, appliqué de 1810 à 1994), le
vagabondage et la mendicité étaient un délit puni de peine d'amende. Le
nouveau code pénal les a dépénalisés.
Inversement, il existe des valeurs « importantes » qui ne sont pas protégées
par une incrimination pénale. Ex : le suicide n'est pas une incrimination pénale,
la pratique des mères porteuses non plus.
2- La peine
C'est une sanction infligée au condamné à raison de l'infraction qu'il a
commise.
– Les fonctions de la peine : Selon les époques elle a eu des fonctions
qu'elle n'a pas forcément conservé. C'est une fonction de punition, un mal
légal, que la loi inflige au condamné. Elle a une dimension afflictive et doit être
proportionnelle à la gravité de la transgression. La peine poursuit une fonction
rétributive : l'individu paye pour la faute qu'il a commise, la société obtient
par la peine réparation de l'atteinte portée aux valeurs « essentielles ». Elle a
aussi une fonction dissuasive : il s'agit de décourager. Elle opère à deux
degrés : d'abord une dissuasion individuelle (le condamné qui a subi sa peine
va être découragé de recommencer : éviter la récidive), et une dissuasion
collective (il s'agit de décourager tous les autres qui seraient peut-être tentés
par la commission d'infraction pénale). Aujourd'hui on considère que ce qui est
vraiment dissuasif, ce n'est pas la gravité mais la rapidité et la certitude de la
peine. Le dilemme est qu'il ne faut pas aller trop vite en justice. La peine a une
fonction de neutralisation du délinquant pour que la société soit bien protégée
(neutralisation définitive : la peine de mort. Aujourd'hui il ne reste pas grand
chose de la neutralisation, sauf l'incarcération de longue durée. La période de
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