Dans les chapitres précédents, nous avons étudié la nature biologique, et parfois animale,
de l’homme. Il s’agit là de dimensions indispensables à la compréhension du comportement
et du psychisme humains.
Il serait toutefois réducteur de croire que l’homme se résume à ces dimensions. Comme
Boris Cyrulnik se plait à le rappeler souvent, le modèle animal est pertinent … uniquement
lorsqu’on cherche à comprendre les composantes biologiques de base du comportement. Il
devient obsolète et trompeur lorsqu’on aborde l’homme dans sa dimension culturelle.
Dès lors que l’homme s’est mis à parler, il a quitté le monde biologique pour entrer dans
celui du récit, de la narration, de la représentation. Il est sorti de la réponse immédiate à la
réponse différée. L’information, jusqu’alors, n’était qu’influx nerveux et bouleversements
chimiques, supports éphémères des données. Et voici qu’elle se transforme, qu’elle devient
durable, qu’elle devient récit, durable et transmissible.
La réponse chimique est immédiate. Un événement se produit et dans l’instant, la chimie
transforme le corps et le cerveau. Il en résulte une réponse comportementale. Fin de
l’histoire.
La réponse se médiatise par le langage. Il y a désormais un passé et un futur. Il a
maintenant ce qui est réel et ce qui est imaginaire, virtuel. Le langage permet d’anticiper, de
manipuler le réel et de le transformer en hypothèses, en scénarii variés, possibles mais non
nécessaires.
L’homme se libère de l’instant, du présent et des réponses préprogrammées pour entrer
dans la culture, détachée du biologique.
Les instincts étaient constitués de l’ensemble des réponses figées dans les circuits
neuronaux. Les voici remplacés par les pulsions, lesquelles sont filles de l’imaginaire qui
transforme, torsade, manipule, transcende l’instinct.
Dans les chapitres qui vont suivre, nous allons aborder les principaux modèles théorico-
cliniques qui permettent de penser comment l’homme « symbolique » se construit, et parfois
se détruit, au cours de son existence.
Ces modèles sont la psychanalyse, les théories de l’attachement, l’approche humaniste,
l’approche systémique et l’approche cognitivo-comportementale. Bien que relevant de cadres
épistémologiques fort différents, parfois incompatibles, ces différentes approches sont assez
complémentaires. Chacune semble éclairer ce qui a été laissé dans l’ombre par les autres.
Voici l’homme symbolique !
L’homme symbolique est donc celui qui utilise le langage pour communiquer et pour (se)
penser. Un symbole langagier est un signe abstrait, généralement sonore ou écrit, qui
représente un objet concret. Ceci implique qu’il devient dès lors possible :
- d’évoquer « l’objet » absent du contexte, donc de se libérer du matériel pour prendre
de la distance avec le réel et entrer dans le monde des idées et du virtuel.
- de parler du passé (« objet » passé), donc de reconsidérer le sens de ce qui a été vécu.
- d’évoquer le futur (« objet » à venir), donc d’anticiper les conséquences de nos actes.
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, Texte provisoire – Diffusion interdite
En d’autres termes, on peut commencer à parler en termes d’idées et non plus d’objets
concrets. Et l’idée est plus facilement manipulable que l’objet réel : il est plus facile de parler
d’un « éléphant » dans votre salon que d’en faire apparaître un.
Par ailleurs, le symbole peut donner un sens à un objet qui n’en a pas (« chose »). Par
exemple, si je rencontre, une nouvelle personne inconnue, je peux la décrire, la comparer,
l’assimiler du connu.
Dès lors, les symboles langagiers permettent d’organiser nos perceptions et nos émotions
(souvent primitives) en un univers cohérent, prévisible et partageable avec d’autres.
Le symbole sort l’humain de l’arbitraire. Le langage est ordonné par des lois (syntaxe), et
donc ordonne aussi l’univers avec des lois. Il met de l’ordre. Et un ordre commun (même
langage pour tout le monde).
Cette aptitude est capitale, parce que le langage nous permet de nous détacher du monde
des objets concrets qui, à l’origine, constituaient l’unique cible de nos instincts : « objet à
manger », « objet à boire », « objet à copuler », « objet dont il faut se protéger », … Ce qui
libère de l’espace pour penser. Donc, le symbole, et plus encore le langage, nous aide à
quitter la réactivité émotionnelle immédiate pour ouvrir un espace intermédiaire.
Lorsque l’enfant apprend à parler, il parvient à mieux organiser sa pensée et ses émotions.
On se rappelle que la fonction symbolique se développe progressivement. Ainsi, le
nourrisson n'est pas capable de construire des structures symboliques. Il est par contre capable
d'intérioriser des séquences d'événements. À ce stade, l'enfant partage avec les animaux la
caractéristique de ne répondre qu'à des paramètres présents dans la réalité interne et externe.
Comme PIAGET l'a montré, l'intériorisation des schèmes d'action contribue à la construction
de la fonction symbolique. Dès lors, l'enfant est capable de réagir indépendamment des
éléments présents c'est-à-dire qu'il est capable de revenir sur des éléments passés ou
d'anticiper des éléments futurs.
Et surtout, l’enfant peut prendre de la distance avec ses instincts et, dès lors de les
discipliner, de s’en libérer pour en faire autre chose de les sublimer dans le cadre d’un
consensus social.
C’est à la psychanalyse que l’on doit d’abord la compréhension de ce que le langage a
apporté à l’humain.
Mais avant d’aborder ce chapitre (et les suivants), lisez la section 4 (« Névrose – psychose
– perversion et vie quotidienne ») sans trop vous attarder sur le sens des mots particuliers pour
ne vous attacher qu’au sens global. Lisez ensuite le chapitre et relisez cette section 4.
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