« Je dis que le Département d’état, […], est complètement infesté de communistes. Je
connais, j'ai dans la main, les cas de 57 individus qui sont soit membres du Parti communiste, ou
tout au moins à lui tout dévoués; cependant ils n'en continuent pas moins à façonner notre politique
étrangère. »
Le 20 février 1950 Joseph McCarthy, alors sénateur de l’État du Wisconsin au Congrès des États-
Unis, prononce ces mots dans un discours devant le Club des Femmes Républicaines à Wheeling en
Virginie occidentale. Ces propos provocateurs accusent directement « un des plus importants
[départements] des ministères » d'être sous le joug communiste. C'est le début d'une longue période
de « chasse aux communistes » aux États-Unis, un des aspects primordiaux de la Guerre Froide.
Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale les États-Unis ont affirmé leur poste de puissance
mondiale. Ils sont les seuls détenteurs de l'arme atomique, avec un siège permanent à l'ONU qu'ils
ont cofondés. Depuis la conférence de Bretton Woods de 1944 le dollar devient la seule monnaie
étalon. Après avoir été allié à l'URSS lors de la Seconde Guerre Mondiale dans la lutte contre le
nazisme, les dissensions entre les deux puissances refont surface. En 1949 la situation internationale
paraît défavorable aux États-Unis, Mao accède au pouvoir de la Chine continentale, les soviétiques
entre en possession de la bombe atomique et des espions communistes sont arrêtés en Angleterre, au
Canada et aux États-Unis Le danger communiste devient une des préoccupations majeures de la vie
politique américaine. La construction d'une ennemi commun à l'intérieur même du territoire va
permettre une meilleure cohésion des institutions, des politiques et des citoyens. En effet, dès 1946
les conflits opposant les Républicains et les Démocrates sont à leur apogée. Les Républicains sont
majoritaires au Sénat depuis longtemps et pourtant ils perdent l’élection de 1948 au profit du
démocrate Harry S. Truman. Ces dissensions ne vont pas aller en s'améliorant lorsque le sénateur
McCarthy accuse directement dans son discours à Wheeling le gouvernement de Truman, ces
accusations vont au-delà de tous jeux politiques par leur gravité et leur portée sur la suite des
événements. Truman répond à McCarthy le 31 mars 1950 dans une lettre adressée à Dean Acheson
(le secrétaire d'Etat), il le qualifie de « menteur pathologique ». Les accusations délirantes du
sénateur du Wisconsin auraient pu tomber dans l'oubli et être vues seulement comme la vengeance
d'un parti blessé dans son honneur, et pourtant, McCarthy va user de son intelligence politique et de
la peur des soviétiques qui règne aux États-Unis pour diffuser son influence et se montrer
indispensable. Cette « chasse aux sorcières » débute en 1946 et ne se termine qu'à la fin de la guerre
froide en 1991.
Comment le Maccarthysme s'est-il installé dans les mœurs américaines et comment a-t-il influencé
toute une politique ? Cette période résulte tout d'abord d'une construction politique efficace, qui va
se poursuivre même après la mort de son instigateur. Enfin, le Maccarthysme n'a pas pu prendre
racine aussi profondément s'il ne s'inscrivait pas dans une histoire de la persécution aux États-Unis.
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,Chapitre 1 : Le Maccarthysme : une construction politique
I- Une politique déjà ancienne, qui se fonde sur un passé anti-communiste
Le Maccarthysme se définit comme une lutte accrue contre le mouvement communiste aussi
bien dans le domaine politique, social qu'économique. Cette chasse mise en place par le sénateur
McCarthy se fonde cependant sur une politique américaine anti-communiste déjà en place depuis
les années 1920. Dès la fin de la Première Guerre Mondiale, en 1919, des grèves de travailleurs
secouent le pays. Les 4,1 millions de grévistes américains réclament de meilleurs salaires et une
réduction du temps de travail, les manifestations dégénèrent parfois en affrontements avec les forces
de l'ordre. Au cours des années 20 des groupes anarchistes organisent des attentats à l'encontre des
institutions politiques et économiques, le 16 septembre 1920 la banque Morgan à Wall Street subit
un attentat faisant plus de 30 morts et 200 blessés. C'est dans ce contexte tendu que le
gouvernement met en place des mesures répressives à l'encontre des groupes anarchistes et
communistes. Les grévistes sont associés par l'opinion publique aux "Rouges", le mouvement social
perd grandement en popularité. Ce sont les débuts de la "peur Rouge", ou encore appelée "Red
Scare". C'est en comprenant les racines de cette peur que nous pouvons comprendre une des affaires
judiciaires les plus retentissantes de l'histoire de États-Unis : l'Affaire Sacco et Vanzetti. Ces deux
militants anarchistes italo-américains sont accusés de vol et de meurtre après deux braquages dans
le Massachusetts en 1920 qui ont fait deux morts. Nicola sacco et Bartolomeo Vanzetti sont les
coupables idéaux : ils sont anarchistes, jeunes et d'origine étrangère. Ils sont directement associés
par les autorités aux mouvements terroristes anarchistes menés par Luig Galleani. A l'issue de leur
second procès en 1921 ils sont condamnés à mort. Une campagne de soutien aux deux hommes se
met alors en place aux Etats-Unis, Benito Mussolini lui-même prend leur défense publiquement. En
novembre 1925 un malfrat italien, déjà condamné à mort pour une autre affaire, avoue être le
véritable auteur des deux braquages, mais cela ne suffit toujours pas à Webster Thayer, juge de
l'affaire, à rouvrir le dossier. En aout 1927 Sacco et Vanzetti sont exécutés sur la chaise électrique
dans la prison de Charlestown, ce qui provoque l'émoi de nombreuses personnes. Ils ne seront
réhabilités qu'en 1977. Cette affaire est caractéristique de l'anti-communisme des années 20 aux
États-Unis, la peur du "Rouge" et de l'étranger pousse les plus hautes autorités de l'Etat dans es
retranchements, incapables d'apporter une réponse rationnelle et réfléchie à des problèmes touchant
de près ou de loin à leur autorité. Mais c'est bien pour cela que le terme de "Scare", la peur, est
utilisé : il désigne le trouble provoqué par une représentation réelle ou imaginaire, elle est donc
irrationnelle et incontrôlable.
Le Parti Communiste américain, fondé à l'été 1919, connaît précocement des difficultés
aussi bien à cause de dissensions internes que de pressions externes. Dès les années 20 le Parti
connaît des difficultés de communication avec le Kremlin : après les révolutions de 1917 le parti ne
peut se contenter d'un idéal révolutionnaire, l'enjeu est à présent de s'ancrer dans la vie politique
des travailleurs américains. Or, la ligne directrice donnée par le pouvoir soviétique ne convient pas
au Parti américain, les différences entre les sociétés travailleuses soviétique et américaine sont trop
importantes pour qu'elles puissent être assimilées. Pourtant, le Parti Communiste américain (PC)
continue de se réclamer du régime soviétique, c'est un réel prestige de faire partie de cette branche
occidentale, comme un des outils principaux de la diffusion de la pensée communiste dans un
occident capitaliste. De plus, il faut noter que le Parti Communiste américain fait partie du
« Comintern » , une organisation moscovite réunissant tous les partis communistes à travers le
monde sous une seule bannière, celle du régime soviétique, et sous un seul objectif, la diffusion du
communisme au niveau mondial. Il est compréhensible donc que le PC américain suive les
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, directives du Kremlin. Cet attachement est un des facteurs de pressions externes subies par le parti,
en effet le gouvernement en place de Wilson voit d'un mauvais œil l'influence que pourrait avoir le
Kremlin sur un parti américain qui est amené à grandir et à son tour à influencer les masses
populaires américaines. Les changements soudains de politique, la nature autoritaire et le manque
de transparence de la maison mère moscovite participent au sentiment anti-communiste aux États-
Unis, l'affiliation entre le parti et la Russie lui joue en défaveur, même les membres ont du mal à
suivre toutes les décisions des cadres du Parti. Par exemple, le Pacte germano-russe de non
agression d’août 1939 a contrait le parti a abandonné soudainement sa politique anti-hitlérienne et à
défendre la neutralité américaine. En Juin 1941, lorsque le Pacte est rompu par Hitler, le parti doit à
présent montrer publiquement son soutien aux Alliés et à l'intervention américaine.
Cela n'empêche pas que dans les années 1930, années de la Dépression et de la montée du
fascisme en Europe, le parti est à son apogée, il constitue le parti le plus important de la gauche
américaine. Il prend part dans toutes les manifestations sociales, que ce soit pour les droits des noirs
en Alabama, pour la défense des chômeurs de Chicago que pour l'amélioration des conditions de vie
des fermiers de la Californie. La pensée communiste parle alors à de jeunes idéalistes prêts à
s'engager politiquement en réponse aux problèmes sociaux et économiques engendrés par la
Dépression. Cette popularité est accrue par la montée des fascismes en Allemagne, mais surtout en
Espagne où la pensée conservatrice de Franco s'oppose totalement à la pensée révolutionnaire
communiste. Ce combat contre le fascisme européen attire aux États-Unis de nombreux étudiants et
intellectuels, notamment ceux de la communauté juive. De nombreuses associations et groupes
communistes se mettent alors en place comme point d'ancrage dans la société américaine, nous
noterons par exemple The International Workers Order (IWO), créée au début des années 1930 à
New York. Cette organisation, tournée principalement vers les minorités ethniques, organise des
stages d'été, des rencontres culturelles et des campagnes de sensibilisation dans les quartiers. Ces
associations sont vues par les opposants comme des groupes de propagande communiste, profitant
de la faiblesse de certaines personnes pour les convertir à la pensée soviétique. En mars 1933
Franklin Delano Roosevelt est élu Président des États-Unis et met en place le « New Deal ». Cette
politique économique est mise en place à la suite de la crise de 1929 (qui débute dès 1927), elle se
caractérise par une meilleure répartition des richesses et par une dynamisation de l'économie grâce à
des crédits à la consommation. Les communistes prennent part à cette nouvelle économie en
unifiant tous les travailleurs américains, beaucoup de communistes se considèrent dès lors en
premier lieu « unionistes » avant d'être communistes. C'est ici que l'on voit un des premiers
problèmes du Parti Communiste Américain : le secret. De nombreux membres du parti ne sont pas
encore prêts à se revendiquer communistes, le parti restent encore une sorte d'organisation
« secrète » dont les membres restent encore dans l'ombre. Même à son apogée, dans les années 30,
le communisme reste tabou, il n'est pas bien vu de se revendiquer de cette branche, certains
travailleurs de la fonction publique risquent d'être licenciés s'ils se révèlent être membres du parti.
Les membres vivent mal ce secret et le manque de transparence du parti, cette peur de la révélation
et de l'exposition publique est une des armes favorites des opposants au parti, c'est cette peur qui
sera plus tard exploitée par le Sénateur McCarthy. De plus, le parti est contraint de soutenir toutes
les décisions de J. Staline (au pouvoir en URSS) et cela veut dire soutenir les faux procès, les
déportations, les camps de travail, les goulags, les assassinats d'opposants. Cela nuit gravement à la
crédibilité du parti et donne des arguments en sa défaveur. Les relations entre le Parti Communiste
américain et les autres partis de gauche se dégradent alors de façon irréversible, aggravant son
isolement et sa marginalité.
Alors que le sentiment anti-communiste aux États-Unis avait jusqu'alors toujours était
ambiant, diffus, les oppositions tendent à se radicaliser et à se concrétiser. En 1938 la Chambre des
représentants des États-Unis créée le HUAC (House Un-American Activities Committee), cette
organisation a pour but d'enquêter sur les propagandes nazis et communistes. Après la Seconde
Guerre Mondiale elle devient le comité anti-communiste le plus actif et le plus puissant des Etats-
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