Fiche du chapitre 8 du livre "La connaissance philosophique" d'Hubert Grenier (grand professeur de philosophie), chapitre portant sur la vie philosophique, sur la cohérence entre vie et philosophie qui sont tout sauf deux sphères séparées à jamais.
Hubert Grenier, La connaissance philosophique
Chapitre 8 : Connaissance et vie
Discours scientiste : alors que les sciences élaborent des concepts réellement déterminants car ils construisent un
espace opérationnel où se confirme leur effectivité, la spéculation philosophique est incapable de mettre au point
les instances logiques ou expérimentales susceptibles d’assurer un contrôle de ses énoncés. La philosophie,
ignorant la vérification, ignore la vérité.
Platon répondrait que le savoir n’est pas « l’opinion + des raisons », mais que le terme de science doit être
réservé à la vérité, puisqu’elle est en droit de revendiquer le monopole du type de vérification le plus parfait, le
plus satisfaisant pour l’esprit.
Les maths ne se vérifient que par elles-mêmes. Leur vérité leur est purement intérieure, elle se réduit à de la
cohérence. Les sciences physiques reçoivent d’un au-dehors leur validation, elles la trouvent dans le
« consentement » des faits, et en dernière analyse, dans le pouvoir qu’elles nous donnent sur les phénomènes.
Bref, dans les sciences : soit la vérité est enfermée en soi, indifférente à tout ce qui ne résulte pas de ses
protocoles internes ; soit la vérité est contrainte de mendier à l’extériorité un accord toujours très restreint.
Il n’y a qu’en philosophie où le vrai brise les différentes formes de son unilatéralité, devienne actif, puissant,
pétrisse une réalité et ne s’applique à elle que pour la hausser, l’égaler à soi. Bien mieux que vérifiée, la
philosophie : vérifiante. De notre vie elle fait enfin une vraie vie, une vie que ne ronge plus aucune négation, une
vie où tout est vivant.
I. La « mort » de Socrate
La vie sans la philo, c’est penser : vivre, c’est ne pas encore mourir. Semblable vie est exténuante. Voilà pourquoi
« philosopher, c’est mourir, c’est être mort » (Phédon) : c’est mourir à cette vie qui n’était que le plus abominable
simulacre de vie, où tout ne parlait que de la mort. Nous craignions de mourir, nous ne nous apercevions pas que
déjà nous sommes morts, que c’est être mort que de craindre la mort.
Pourquoi Socrate échappe-t-il à cette peur ? Parce qu’il sait que la mort, par définition, ne peut frapper que du
mortel : la mort ne condamne à mourir enfin pour de bon en nous que ce qui en réalité était déjà mort. Ce que
Socrate a préservé, c’est l’essentiel, i.e. l’unité inentamable en tant que telle, incorruptible, de son essentialité, de
sa vérité : l’homme a pour vérité d’être une âme, i.e. d’avoir en soi son principe de vie. Cette âme se compose de
deux éléments et du mélange de leur mélange : le même, condition de son unité, l’autre, condition de son
mouvement. L’âme est harmonieuse quand l’autre en elle s’ordonne sur le même ; alors elle s’anime pleinement.
Que pourrait craindre Socrate ? Simplement de n’être plus Socrate, cet homme où n’est réel que ce qui est vrai.
C’est en n’étant plus Socrate, en se déjugeant, en se reniant qu’irrémédiablement il ne serait plus. Mais sur la
vérité à laquelle il a identifié son existence, la mort est sans puissance aucune. Elle ne lui enlèvera pas une
parcelle de sa sagesse et Socrate mort restera aussi juste que Socrate vivant. La mort ne le désocratisera pas.
II. Philosophie et théorie
Il est clair que nous avons à peu près complètement perdu le sens d’une pareille réalisation philosophique. Nous
voulons bien, à la rigueur, d’une théorie mais à la condition d’en récolter au plus vite des applications pratiques
pour cette vie.
Le philosophe s’est assuré que l’âme est immortelle en considérant qu’il existe en nous une région, une sphère,
celle où la vérité reçoit accueil, indépendante des vicissitudes de la vie : faute de quelque chose d’éternel en
nous, il serait inintelligible que nous fussions capables d’intellection, que pussent trouver le moindre écho en
nous ces êtres immuables que sont les idées.
Il n’est pas exact de dire (comme on l’a fait plus haut) que Socrate ne redoute pas la mort. Énoncer que la mort
n’est pas redoutable sous-entend qu’elle est redoutée. Ce que je ne crains pas, c’est ce que d’une certaine façon
je crains : le courage est la peur surmontée. Socrate devant la mort ne fait pas preuve de courage comme un bon
guerrier, mais de philosophie. Il n’est pas devant la mort.
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