Lecture linéaire n°15
“Messieurs les jurés” - Le Rouge et Le Noir de
Stendhal
Le procès de Julien
1 « Messieurs les jurés,
« L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole.
Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est
révolté contre la bassesse de sa fortune.
5 « Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion,
la mort m’attend : elle sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects,
de tous les hommages. Madame de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il
fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand je serais moins coupable, je vois des
hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et
10 décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en quelque sorte
opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à
ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.
« Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis
point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais
15 uniquement des bourgeois indignés... »
Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu’il avait sur le cœur ; l’avocat général, qui
aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que
Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Madame Derville elle-même
avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect,
20 à l’adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour madame de Rênal...
Madame Derville jeta un cri et s’évanouit.
1
, Introduction
Stendhal = vrai nom = Henri Beyle / XIXe siècle / réalisme = décrire la réalité dans le roman / issu d’une
famille bourgeoise royaliste / s’engage dans l’armée de réserve de Napoléon
Le Rouge et le Noir = 1830 / connaîtra le succès qu’au XXe siècle
Le Rouge et le Noir est un long roman d’apprentissage publié en 1830 par Stendhal, ancien officier de
Napoléon. Ce roman réaliste raconte l’ascension du jeune Julien Sorel, fils de charpentier de
Franche-Comté, qui s’élève dans la haute société grâce à son intelligence ambitieuse, sa beauté juvénile,
et son « âme frénétique ».
Cette « Chronique du XIXe » dresse un tableau social et politique d’une société déchirée entre
monarchisme et libéralisme. Alors que s’organise le mariage entre Julien et la riche Mathilde de la Mole,
fille d’un puissant marquis, Madame de Rênal fait connaître au père de Mathilde l’union qu’elle eut avec ce
même Julien. Ces révélations d’infidélité détruisent le projet du mariage entre Mathilde et Julien. Ce
dernier, par vengeance, tire sur son ancienne amante, qu’il ne parvient pas à assassiner. Ce crime
inattendu précipite la fin du roman, autour du procès de Julien.
Cet extrait correspond au discours final de Julien lors de son procès, que l’on retrouve dans le chapitre 41
de la partie 2 du livre. Dans ce passage, Julien, malgré ses soutiens influents, se condamne à mort avec
un discours dénonciateur, qui accuse la société
Comment Julien Sorel, en prononçant ce discours devant les jurés, se condamne-t-il volontairement à
une mort héroïque ?
On peut alors découper cet extrait en quatre parties. Dans la première partie, Julien se présente en jeune
homme révolté par sa pauvreté. Puis il s’accuse avant d’accuser la société dans une troisième partie. Enfin,
dans la quatrième partie, le narrateur rend compte des vives émotions que le discours de Julien suscite.
I – Julien se présente en jeune homme révolté par sa pauvreté /
situation d’énonciation
(l. 1 à 4)
(De "Messieurs les jurés" à "la bassesse de sa fortune" )
Ligne 1 ● “Monsieur les jurés” Julien s’adresse aux jurés qui s'apprêtent à le juger pour avoir
tenté de tuer Mme de Rênal.
● Le discours que prononce Julien devant les jurés constitue sa plaidoirie, son
discours de défense.
● “Monsieur les jurés” Julien s’adresse aux jurés qui s'apprêtent à le juger pour avoir
tenté de tuer Mme de Rênal.
● "Messieurs les jurés" : Julien s’ouvre de manière solennelle avec l’adresse
respectueuse
● MAIS, dès la deuxième phrase, Julien justifie sa prise de parole par "l’horreur du
mépris" → Julien apparaît alors comme un héros orgueilleux, qui refuse d’être jugé
par des hommes qu’il méprise
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