Les enjeux actuels de l’évolution des métiers de la diplomatie
Les Cahiers IRICE, n°3, 2009, « Diplomaties en renouvellement » (sous la direction de
Laurence Badel et Stanislas Jeannesson), pp. 81-102.
Par Marc Loriol
Dans le cadre de la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances), de la RGPP
(Révision générale des politiques publiques) ou de la modernisation de l’Etat, tout un
ensemble de mesures visent à rationaliser, voire à réduire, l’action de l’Etat à l’étranger et à
optimiser le travail des diplomates. Dans le même temps, certains auteurs vont parfois jusqu’à
écrire qu’avec la forte croissance des rencontres entre responsables politiques de différents
pays, la montée en puissance de nouveaux acteurs (ONG, entreprises, collectivités locales,
organisations internationales…) – la diplomatie « polylatérale »1 –, les nouveaux moyens de
communication (Internet, visioconférences…), le travail des diplomates perdrait de son
importance, les relations internationales pouvant être conduites sans leur concours. Cette
crainte n’est pas nouvelle. Dans les Confessions d'un vieux diplomate, le comte de Saint-
Aulaire, écrivait ainsi en 1953 : « La diplomatie que j'ai connue, la diplomatie des diplomates
n'existe plus »2. Trente ans plus tard, Albert Chambon notait de même : « Dès que l’on parle,
aujourd’hui, du métier de diplomate, la question est posée de savoir si au 20 e siècle, ce
fonctionnaire n’a pas perdu de son importance par rapport au rôle qu’il pouvait avoir dans les
siècles passés »3. Ces réflexions sur la perte d’utilité des diplomates sont toutefois contredites
par l’observation du travail quotidien des agents du ministère des Affaires étrangères et
européennes (MAEE). Comme le faisait remarquer un diplomate américain à un chercheur :
« Si la diplomatie est moins importante aujourd’hui qu’auparavant, comment se fait-il que je
sois toujours aussi débordé de travail ? »4. Il semble en effet y avoir un hiatus important entre
les théories sur la diplomatie, qui la présentent comme une pratique dépassée, et l’observation
que l’on peut faire du travail quotidien des diplomates.
Les différentes facettes de l’activité diplomatique peuvent se résumer en quatre verbes,
souvent utilisés par les diplomates eux-mêmes lorsqu’ils parlent de leur travail : représenter,
informer, négocier, organiser. Prises séparément, ces activités ne fondent pas un métier
spécifique, mais c’est leur combinaison, la présence constante de ces quatre dimensions qui
donne une tonalité particulière au travail diplomatique. A partir d’une enquête en cours sur le
travail des diplomates5, je voudrais discuter et relativiser certains points de ces discours sur le
changement. Le rôle des diplomates à l’époque des déplacements fréquents des responsables
politiques et de la société de l’information reste important et finalement peu différent, dans sa
logique, de ce qui a pu être décrit par le passé. Il n’est pas possible ici de reprendre une à une
1
Ce néologisme forgé par Kofi Annan entend souligner le fait que dans les négociations multilatérales entre pays
interviendraient un nombre croisant d’acteurs non-étatiques (ONG, multinationales, collectivités locales, etc.).
2
Auguste-Félix Charles de Beaupoil Comte de Saint-Aulaire, Confessions d'un vieux diplomate, Paris,
Flammarion, 1953.
3
Albert Chambon, Mais que font donc ces diplomates entre deux cocktails ?, Paris, A. Pedone, 1983.
4
Cité dans Iver B. Neumann, « To be a Diplomat », International Studies Perspectives, 2005, n°1, p. 72-93.
5
Recherche menée par Marc Loriol (responsable), Françoise Piotet, Valérie Boussard, David Delfolie et Vincent
Porteret. Un échantillon d’une quarantaine d’agents de catégorie A de l’administration centrale à Paris a été tiré
au sort dans les différentes directions afin de réaliser des entretiens approfondis. Surtout, sept postes (quatre
bilatéraux dont les consulats et trois multilatéraux), trois directions parisiennes et les services nantais ont fait
l’objet d’études plus approfondies (entretiens auprès de différentes catégories de personnel et observations). Afin
de pouvoir observer librement les différentes phases de travail (réunion, préparation des visites, travail
consulaires, etc.) et selon les règles déontologiques en vigueur dans la recherche sociologique, un anonymat total
a été garanti pour toutes les personnes qui ont bien voulu nous recevoir.
1
, les différentes facettes du métier. Nous avons donc choisi de centrer l’analyse sur deux
aspects du travail, particulièrement pertinents par rapport à la question de l’éventuelle
évolution du rôle des diplomates : d’une part, l’augmentation des déplacements des
responsables politiques et la place des diplomates dans la préparation des voyages officiels ;
d’autre part, l’impact des technologies de l’information et de la communication sur le travail
d’information.
Les déplacements des responsables politiques peuvent-ils se substituer au
travail des diplomates ?
Une activité particulière regroupe et met en œuvre les quatre grands types d’activités
qui structurent le travail diplomatique : l’organisation et la gestion des visites officielles au
cours desquelles sont mises en scène les relations bilatérales, finalisées certaines négociations
et qui donnent lieu, en amont et en aval, à un important travail d’information.
Une grande préparation en amont
Les contacts de plus en plus fréquents entre dirigeants, loin de réduire la charge de
travail des diplomates ont au contraire pour effet de l’augmenter. Les rencontres, négociations
et visites doivent être préparées, gérées et prolongées (informations préalables, mise en
évidence des points d’accord et remontée des seuls points de désaccord, résolutions des
« détails techniques » de plus en plus nombreux et importants). Les diplomates jouent en
outre un rôle de synthèse politique visant à produire une position, à garder une cohérence, à
construire un discours ; d’où la répétition des éléments de langage (un point qui n’est pas
repris dans un discours officiel pourrait être perçu comme le « signe » que le sujet n’est plus
considéré comme important par le ministère) 6. « Tous les propos tenus durant les visites
officielles sont cadrés par des travaux préliminaires servant à déterminer les sujets à aborder
et à écarter les développements indésirables. Ce travail de mise en forme permet d’isoler les
thématiques, de les valoriser, en se libérant de tout ce qui ne rentre pas dans le ton de
l’échange »7. Au-delà d’une rencontre et d’un problème technique particulier, il s’agit de faire
perdurer la relation bilatérale. La direction géographique, en lien avec l’ambassade française
du pays visité, détermine la liste des thèmes à aborder et des personnes à rencontrer, reprise
dans une note de cadrage. Des échanges préalables avec le cabinet du ministre et d’autres
ministères éventuellement intéressés par la visite sont réalisés, afin de lister et de coordonner
les différentes demandes éventuelles. Au sein de l’ambassade, les conseillers techniques sont
invités à rédiger à l’intention du chef de poste des fiches techniques sur les thèmes
susceptibles d’être liés à la visite et qui l’aideront pour la rédaction des télégrammes
diplomatiques et l’organisation de la visite. De même, l’ambassadeur et son équipe sont
souvent amenés à rédiger les discours officiels qui seront prononcés par le responsable
politique. La préparation et la négociation minutieuse des programmes, des thèmes abordés
(et de ceux que l’on souhaite éviter), des éléments logistiques, jusqu’à l’éventuel échange de
cadeaux, ont pour objectif de limiter tous les imprévus et de désamorcer à l’avance tout risque
de friction, toute tension ou malaise entre les personnalités 8. L’objectif de la visite n’est pas
tant de régler les problèmes en suspens, ce qui sera fait en amont ou en aval de la visite par les
6
Iver B. Neumann, « A speech that the entire Ministry may stand for, or : Why diplomats never produce
anything new », International Political Sociology, 2007, n°1, p.183-200.
7
Meredith Kingston de Leusse, Diplomate. Une sociologie des ambassadeurs, Paris, L’Harmattan, 1998, p.149.
8
Ibid.
2
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