Les menaces internes à l’indépendance de la justice
Monsieur Alioune Badara FALL,
Professeur de droit public à l’université Montesquieu Bordeaux IV
agrégé des facultés en droit public,
Directeur Adjoint du Centre d'études et de recherches
sur les droits africains et sur le développement institutionnel
des pays en développement (CERDRADI).
Choisir de traiter au début de ce 21ième siècle d’une question qui porte sur
l’indépendance de la justice, et plus précisément sur les menaces qui pourraient peser sur elle,
pourrait paraître aux yeux de bon nombre d’observateurs comme dépassé ou inutile, voire
anachronique, tant ce thème a fait l’objet d’études fort intéressantes et complètes. Que l’on ne
s’y trompe pas cependant. D’abord, l’importance de ce sujet tient à sa problématique qui fait
de l’indépendance de la justice un débat, sinon constant, du moins toujours renouvelé dès lors
qu’elle est menacée en permanence, directement ou indirectement, par divers phénomènes,
structures, institutions, organes gouvernementaux ou étatiques, dont l’impact plus ou moins
important sur le fonctionnement de la justice dépend de facteurs historiques, culturels,
idéologiques voire religieux de chaque Etat confronté aux mêmes questions liées à la
démocratie et à l’Etat de droit. Ensuite - et c’est cela qui donne une dimension inédite et
actuelle à cette problématique de l’indépendance de la justice - ce thème est traité et discuté
dans le cadre d’un congrès qui réunit presque l’ensemble des pays francophones. Ceci est loin
d’être anodin pour plusieurs raisons.
La francophonie a la particularité de rassembler, à travers un élément culturel en
commun qui est la langue française, un ensemble de pays fort hétéroclite car situés dans des
zones géographiques différentes et de nature sociale et politique variée ou opposée, certains
d’entre eux étant industrialisés et très démocratisés, d’autres moins développés et encore peu
respectueux de principes de l’Etat de droit et de la démocratie, malgré leur volonté déclarée
de les rendre effectifs.
Or, la francophonie s’est toujours préoccupée des questions relatives aux Droits de
l’homme, au respect des principes démocratiques et à l’instauration de l’Etat de droit dans les
pays qui revendiquent leur appartenance à cet espace culturel. Celui-ci devient ainsi un
élément fédérateur en ce qu’il diffuse et encourage la défense de ces principes dans cet
espace, sans distinction dans ces entités étatiques car en définitive, autant les droits de
l’homme doivent être reconnus à tout individu quel que soit sa race ou son origine
géographique – un homme vaut toujours un homme – autant la démocratie ne peut faire
l’objet de variantes dans son effectivité et sa manifestation, selon telle ou telle région du
monde. Il en est de même pour l’Etat de droit : ses modalités et ses principes doivent rester
universels et demeurent les mêmes, quel que soit le pays ou la société qui s’en réclame.
L’heureuse initiative de l’AHJUCAF d’organiser ce congrès à Dakar sur
l’indépendance de la justice participe de cette construction. En effet, peut-on parler de respect
des droits de l’homme, de démocratie et d’Etat de droit sans l’existence d’une justice
indépendante ? Certes Montesquieu dans sa théorie de la séparation des pouvoirs lui avait
donné une « fonction pratiquement nulle » (en le confinant pratiquement dans son rôle
fondamental qui est celui de dire le droit), mais aujourd’hui, nul ne peut ignorer l’importance
,que le juge1 – et de façon plus large la justice – revêt encore plus dans les sociétés modernes.
La justice, qu’elle soit une autorité ou un pouvoir, est un des attributs essentiels de la
souveraineté de tout Etat.
En tant que telle, elle fait partie des organes les plus importants d’un pays, tant par son
statut par rapport aux autres pouvoirs que par son rôle. L’action de la justice partout est de
plus en plus attendue, les populations étant elles-mêmes de plus en plus conscientes de la
nécessité pour les juges de dire le droit et de défendre leurs libertés lorsqu’elles sont
menacées, notamment par les autorités politiques ou administratives.
Mais l’indépendance de la justice, condition sine qua non pour l’efficacité dans son
action et sa crédibilité aux yeux des citoyens, dépend d’une combinaison de plusieurs
conditions, c'est-à-dire de l’organisation et du fonctionnement de la justice, du statut, des
attributions et des moyens du juge. Ces divers éléments varient selon les pays et ont une
influence également différente en fonction de la place du politique, du social, de l’idéologie
ou de la religion dans le système étatique considéré. La diversité des pays - et par conséquent
celle des situations - étant l’autre particularité de l’espace francophone, le problème de
l’indépendance de la justice apparaît relatif parce que dépendant de la manière dont la justice
est perçue, conçue et organisée et de l’évolution que l’appareil judicaire a lui-même connue
depuis son existence dans le pays considéré. Ainsi, les pays francophones occidentaux se
distinguent-ils nettement sur ce point, des autres pays situés en Afrique, en Asie et dans les
pays d’Europe de l’Est récemment sortis de l’orbite de la domination soviétique.
Cette diversité de situations que ne montrent pas les réponses fournies par ces mêmes
Etats au questionnaire qui leur a été proposé 2, justifie une présentation préliminaire des
différentes catégories de pays qui composent cet espace francophone qui se distinguent par
leur cadre géographique et politique dans lequel leur justice est rendue.
D’abord, le premier groupe d’Etats ayant répondu à ce questionnaire est constitué de
pays européens faisant preuve, a priori, d’une longue tradition démocratique 3. Loin de penser
ou de dire que le juge bénéficie d’une totale indépendance dans ces pays – ce serait bien
évidemment faux -, il est permis d’avancer l’idée que la justice y évolue et s’y exerce dans
une « atmosphère » globalement démocratique où la séparation des pouvoirs et
l’indépendance du juge n’y sont pas constamment et systématiquement violées de manière
flagrante. Depuis quelques années par exemple, le juge français procède régulièrement, avec
ténacité et courage, à la moralisation de la vie publique en mettant en examen plusieurs
hommes politiques de tout bord, y compris un président de la République en fonction qui n’a
dû son salut qu’à une décision du Conseil constitutionnel. Mais même dans ces pays,
l’indépendance du juge n’est jamais complètement acquise et fait l’objet d’une conquête
permanente.
La deuxième catégorie d’Etats francophones ayant répondu au questionnaire est
constitué de pays d’Afrique du Nord et du Sud du Sahara, dont le système institutionnel et
politique est pour une large part, une reproduction du modèle français. Dès leur accession à
l’indépendance, ils ont logiquement institué un appareil judiciaire à côté des organes législatif
1
Nous utiliserons indifféremment les termes de magistrat et de juge dans la suite de l’étude.
2
En effet, si le principe d’indépendance de la justice est affirmé dans les textes importants - notamment
dans la Constitution - de plusieurs de ces pays, cette identité de vue n’est que théorique ; dans la pratique, les
situations divergent selon les Etats et vont du pire (subordination du juge au pouvoir politique en place) au
meilleur des cas (indépendance réelle et impartialité du magistrat)
3
Il s’agit de la Belgique, du Canada, de la France et de la Suisse.
, et exécutif. Le principe de la séparation des pouvoirs que les Constitutions africaines, dans
leur quasi-totalité, ont également consacré devrait permettre au juge de bénéficier
théoriquement d’une indispensable indépendance vis-à-vis des autres organes constitutionnels
pour faire respecter la loi, les droits et libertés individuels. Cela concerne également les
juridictions car lorsqu’un tribunal où siègent les magistrats n’est pas indépendant vis-à-vis de
l’exécutif et d’autres organes, les juges eux-mêmes qui le composent ne peuvent prétendre
être indépendants.
Les premières décennies après l’accession de ces pays à la souveraineté internationale
ont toutefois révélé que le juge africain, loin d’être indépendant, était sous la domination d’un
exécutif fort, marqué par un chef de l’Etat omnipotent et d’un corps législatif dont les actes ne
faisaient l’objet pratiquement d’aucun contrôle. Aujourd’hui l’importance que revêtent le juge
et la justice en Afrique semble renforcée dans l’esprit des Africains depuis l’amorce d’un
vaste mouvement de démocratisation dans la grande majorité des pays d’Afrique
subsaharienne. Une bonne administration de la justice est apparue indispensable à
l’instauration de la démocratie et à l’enracinement de l’Etat de droit dans ces Etats longtemps
marqués par la domination d’un parti politique, voire d’un homme, au mépris des institutions
où sont pourtant inscrits les principes de gouvernement les plus démocratiques et les plus
respectueux des droits de l’homme.
Le processus de démocratisation entamé au début des années 1990 laissait croire que
cette indépendance de la justice, si longtemps ignorée ou bafouée, allait enfin devenir réalité,
même si une telle conquête devait se réaliser progressivement. Les plus hautes autorités de ces
Etats africains n’ont cessé depuis l’amorce de cette démocratisation politique sur le continent,
de rappeler et d’insister sur la nécessité d’un appareil judiciaire indépendant et impartial. Ces
attributs permettraient au juge, pièce centrale de cet appareil judiciaire, d’être à la fois le
protecteur naturel des libertés individuelles contre les atteintes émanant notamment des
pouvoirs publics, et de manière plus générale, un des acteurs de ce processus de
démocratisation par une correcte application du droit, en dehors de toute pression ou autre
contrainte extérieure.
Cette importance du juge est également renforcée par l’existence d’instruments
juridiques internationaux, dont ceux élaborés par l’Organisation Internationale de la
Francophonie qui a adopté plusieurs déclarations dans lesquelles, les gouvernants ont affirmé
leur attachement aux principes démocratiques, à l’Etat de droit et au respect des droits et
libertés des individus. Ces déclarations se situent dans la perspective définie par la Charte de
la francophonie adoptée en 1996 et révisée en 1997 au sommet de Hanoï, ainsi que dans les
autres chartes ou déclarations intervenues depuis le troisième sommet de la Francophonie de
Dakar en 1989. Ces déclarations constituent, à n’en pas douter, des instruments juridiques
dont la Francophonie a voulu se doter pour inciter les Etats à atteindre les objectifs qu’ils se
sont fixés en matière de démocratie et d’instauration de l’Etat de droit.
Il s’agit de déclarations et plans d’action adoptés successivement par la 3ème
Conférence des ministres francophones de la justice du Caire en 1995, par les ministres et
chefs de délégation des Etats et Gouvernement des pays ayant la langue française en commun
à Bamako en 2000 (à l’issue des travaux du Symposium international sur le bilan des
pratiques de la démocratie, des droits et libertés dans l’espace francophone) ou encore par les
ministres chargés de la Culture à Cotonou en 2001. Si la Déclaration de Bamako innove pour
avoir été expressément consacrée à la notion de démocratie, celle du 7 février 2003 d’Abuja
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