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Résumé Fiche : "La jeunesse n'est qu'un mot"

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  • 8 septembre 2014
  • 7
  • 2012/2013
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ChaLys
LA « JEUNESSE » N'EST QU'UN MOT
PIERRE BOURDIEU

Entretien avec AnneMarie Métailié, paru dans Les jeunes et le premier emploi, Paris,
Association des Ages,1978, pp. 520530. Repris in Questions de sociologie, Éditions de
Minuit, 1984. Ed. 1992 pp.143-154


Q. Comment le sociologue abordetil le problème des jeunes ?

— Le réflexe professionnel du sociologue est de rappeler que les divisions entre les
âges sont arbitraires. C'est le paradoxe de Pareto disant qu'on ne sait pas à quel âge
commence la vieillesse, comme on ne sait pas où commence la richesse. En fait, la
frontière entre jeunesse et vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de lutte. Par
exemple, j'ai lu il y a quelques années un article sur les rapports entre les jeunes et les
notables, à Florence, au XVIème siècle, qui montrait que les vieux proposaient à la
jeunesse une idéologie de la virilité, de la virtú, et de la violence, ce qui était une façon
de se réserver la sagesse, c'estàdire le pouvoir. De même, Georges Duby montre bien
comment, au Moyen Age, les limites de la jeunesse étaient l'objet de manipulations de
la part des détenteurs du patrimoine qui devaient maintenir en état de jeunesse,
c'estàdire d'irresponsabilité, les jeunes nobles pouvant prétendre à la succession.
On trouverait des choses tout à fait équivalentes dans les dictons et les proverbes,
ou tout simplement les stéréotypes sur la jeunesse, ou encore dans la philosophie, de
Platon à Alain, qui assignait à chaque âge sa passion spécifique, à l'adolescence
l'amour, à l'âge mûr l'ambition. La représentation idéologique de la division entre jeunes
et vieux accorde aux plus jeunes des choses qui font qu'en contrepartie ils laissent des
tas de choses aux plus vieux. On le voit très bien dans le cas du sport, par exemple
dans le rugby, avec l'exaltation des « bons petits », bonnes brutes dociles vouées au
dévouement obscur du jeu d'avants qu'exaltent les dirigeants et les commentateurs
(« Sois fort et taistoi, ne pense pas »). Cette structure, qui se retrouve ailleurs (par
exemple dans les rapports entre les sexes) rappelle que dans la division logique entre
les jeunes et les vieux, il est question de pouvoir, de division (au sens de partage) des
pouvoirs. Les classifications par âge (mais aussi par sexe ou, bien sûr, par classe...)
reviennent toujours à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se
tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place.

Q. Par vieux, qu'entendez vous? Les adultes? Ceux qui sont dans la production ? Ou le
troisième âge ?

— Quand je dis jeunes/ vieux, je prends la relation dans sa forme la plus vide. On est
toujours le vieux ou le jeune de quelqu'un. C'est pourquoi les coupures soit en classes
d'âge, soit en générations, sont tout à fait variables et sont un enjeu de manipulations.
Par exemple, Nancy Munn, une ethnologue, montre que dans certaines sociétés
d'Australie, la magie de jouvence qu'emploient les vieilles femmes pour retrouver la
jeunesse est considérée comme tout à fait diabolique, parce qu'elle bouleverse les
limites entre les âges et qu'on ne sait plus qui est jeune, qui est vieux. Ce que je veux
rappeler, c'est tout simplement que la jeunesse et la vieillesse ne sont pas des données


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,mais sont construites socialement, dans la lutte entre les jeunes et les vieux. Les
rapports entre l'âge social et l'âge biologique sont très complexes. Si l'on comparait les
jeunes des différentes fractions de la classe dominante, par exemple tous les élèves qui
entrent à l'École Normale, l'ENA, l'X, etc., la même année, on verrait que ces « jeunes
gens » ont d'autant plus les attributs de l'adulte, du vieux, du noble, du notable, etc.,
qu'ils sont plus proches du pôle du pouvoir. Quand on va des intellectuels aux PDG, tout
ce qui fait jeune, cheveux longs, jeans, etc., disparaît.
Chaque champ, comme je l'ai montré à propos de la mode ou de la production
artistique et littéraire, a ses lois spécifiques de vieillissement : pour savoir comment s'y
découpent les générations, il faut connaître les lois spécifiques du fonctionnement du
champ, les enjeux de lutte et les divisions que cette lutte opère (« nouvelle vague »,
« nouveau roman », « nouveaux philosophes », « nouveaux magistrats », etc.). Il n'y a
rien là que de très banal, mais qui fait voir que l'âge est une donnée biologique
socialement manipulée et manipulable ; et que le fait de parler des jeunes comme d'une
unité sociale, d'un groupe constitué, doté d'intérêts communs, et de rapporter ces
intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente. Il
faudrait au moins analyser les différences entre les jeunesses, ou, pour aller vite, entre
les deux jeunesses. Par exemple, on pourrait comparer systématiquement les
conditions d'existence, le marché du travail, le budget temps, etc., des « jeunes » qui
sont déjà au travail, et des adolescents du même âge (biologique) qui sont
étudiants : d'un côté, les contraintes, à peine atténuées par la solidarité familiale, de
l'univers économique réel, de l'autre, les facilités d'une économie quasi ludique
d'assistés, fondée sur la subvention, avec repas et logement à bas prix, titres d'accès à
prix réduits au théâtre et au cinéma, etc. On trouverait des différences analogues dans
tous les domaines de l'existence : par exemple, les gamins mal habillés, avec des
cheveux trop longs, qui, le samedi soir, baladent leur petite amie sur une mauvaise
mobylette, ce sont ceuxlà qui se font arrêter par les flics.
Autrement dit, c'est par un abus de langage formidable que l'on peut subsumer sous
le même concept des univers sociaux qui n'ont pratiquement rien de commun. Dans un
cas, on a un univers d'adolescence, au sens vrai, c'estàdire d'irresponsabilité
provisoire : ces « jeunes » sont dans une sorte de no man's land social, ils sont adultes
pour certaines choses, ils sont enfants pour d'autres, ils jouent sur les deux tableaux.
C'est pourquoi beaucoup d'adolescents bourgeois rêvent de prolonger
l'adolescence : c'est le complexe de Frédéric de L'Éducation sentimentale, qui éternise
l'adolescence. Cela dit, les « deux jeunesses » ne représentent pas autre chose que les
deux pôles, les deux extrêmes d'un espace de possibilités offertes aux « jeunes ». Un
des apports intéressants du travail de Thévenot, c'est de montrer que, entre ces
positions extrêmes, l'étudiant bourgeois et, à l'autre bout, le jeune ouvrier qui n'a même
pas d'adolescence, on trouve aujourd'hui toutes les figures intermédiaires.

Q. Estce que ce qui a produit cette espèce de continuité là où il y avait une différence
plus tranchée entre les classes, ce n'est pas la transformation du système scolaire ?

— Un des facteurs de ce brouillage des oppositions entre les différentes jeunesses de
classe, est le fait que les différentes classes sociales ont accédé de façon
proportionnellement plus importante à l'enseignement secondaire et que, du même
coup, une partie des jeunes (biologiquement) qui jusquelà n'avait pas accès à


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, l'adolescence, a découvert ce statut temporaire, « mi-enfant miadulte », « ni enfant, ni
adulte ». Je crois que c'est un fait social très important. Même dans les milieux
apparemment les plus éloignés de la condition étudiante du XIXème siècle, c'estàdire
dans le petit village rural, avec les fils de paysans ou d'artisans qui vont au CES local,
même dans ce caslà, les adolescents sont placés, pendant un temps relativement long,
à l'âge où auparavant ils auraient été au travail, dans ces positions quasi extérieures à
l'univers social qui définissent la condition d'adolescent. Il semble qu'un des effets les
plus puissants de la situation d'adolescent découle de cette sorte d'existence séparée
qui met hors jeu socialement. Les écoles du pouvoir, et en particulier les grandes
écoles, placent les jeunes dans des enclos séparés du monde, sortes d'espaces
monastiques où ils mènent une vie à part, où ils font retraite, retirés du monde et tout
entiers occupés à se préparer aux plus « hautes fonctions » : ils y font des choses très
gratuites, de ces choses qu'on fait à l'école, des exercices à blanc. Depuis quelques
années, presque tous les jeunes ont eu accès à une forme plus ou moins accomplie et
surtout plus ou moins longue de cette expérience ; pour si courte et si superficielle
qu'elle ait pu être, cette expérience est décisive parce qu'elle suffit à provoquer une
rupture plus ou moins profonde avec le « celavadesoi ». On connaît le cas du fils de
mineur qui souhaite descendre à la mine le plus vite possible, parce que c'est entrer
dans le monde des adultes. (Encore aujourd'hui, une des raisons pour lesquelles les
adolescents des classes populaires veulent quitter l'école et entrer au travail très tôt, est
le désir d'accéder le plus vite possible au statut d'adulte et aux capacités économiques
qui lui sont associées : avoir de l'argent, c'est très important pour s'affirmer visàvis des
copains, visàvis des filles, pour pouvoir sortir avec les copains et avec les filles, donc
pour être reconnu et se reconnaître comme un « homme ». C'est un des facteurs du
malaise que suscite chez les enfants des classes populaires la scolarité prolongée).
Cela dit, le fait d'être placé en situation d'« étudiant » induit des tas de choses qui sont
constitutives de la situation scolaire : ils ont leur paquet de livres entouré d'une petite
ficelle, ils sont assis sur leur mobylette à baratiner une fille, ils sont entre jeunes,
garçons et filles, en dehors du travail, ils sont dispensés à la maison des tâches
matérielles au nom du fait qu'ils font des études (facteur important, les classes
populaires se plient à cet espèce de contrat tacite qui fait que les étudiants sont mis
hors jeu).
Je pense que cette mise hors jeu symbolique a une certaine importance, d'autant
plus qu'elle se double d'un des effets fondamentaux de l'école qui est la manipulation
des aspirations. L'école, on l'oublie toujours, ce n'est pas simplement un endroit où l'on
apprend des choses, des savoirs, des techniques, etc., c'est aussi une institution qui
décerne des titres, c'estàdire des droits, et confère du même coup des aspirations.
L'ancien système scolaire produisait moins de brouillage que le système actuel avec ses
filières compliquées, qui font que les gens ont des aspirations mal ajustées à leurs
chances réelles. Autrefois, il y avait des filières relativement claires : si on allait audelà
du certificat, on entrait dans un cours complémentaire, dans une EPS, dans un Collège
ou dans un Lycée ; ces filières étaient clairement hiérarchisées et on ne s'embrouillait
pas. Aujourd'hui, il y a une foule de filières mal distinguées et il faut être très averti pour
échapper au jeu des voies de garage ou des nasses, et aussi au piège des orientations
et des titres dévalués. Cela contribue à favoriser un certain décrochage des aspirations
par rapport aux chances réelles. L'ancien état du système scolaire faisait intérioriser très
fortement les limites ; il faisait accepter l'échec ou les limites comme justes ou


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