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Introduction au droit fiscal
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PARTIE 1 : Théorie générale de l’impôt
Chapitre 1 : La notion d’impôt
SECTION 1 : Les caractères de l’impôt
L’impôt peut être défini comme un prélèvement perçu au profit de l’Etat de façon obligatoire, à titre définitif
et sans contrepartie directe. En ce sens que dès lors que vous remplissez les conditions d’application de la loi
fiscale, elle vous est appliquée.
Par exemple, s’agissant de la taxe d’habitation, la condition est d’occuper un local d’habitation au 1er
janvier, si c’est le cas vous êtes donc redevable de la taxe d’habitation.
À titre définitif, cela permet de distinguer l’impôt de l’emprunt. Le versement de fonds qu’on va faire, on ne
le récupérera jamais, contrairement à l’emprunt. En effet dans le cas de l’emprunt, si on prête de l’argent à
l’Etat, il va nous verser des intérêts et devra rembourser le capital initial.
Enfin, ce versement se fait sans aucune contrepartie directe, c’est à dire qu’il ne nous ouvre aucun droit.
C’est une différence fondamentale avec les cotisations sociales, celles-ci ouvre le droit à l’assurance
maladie, à la retraite etc.
Cet impôt présente un caractère politique et juridique.
I. Le caractère politique de l’impôt
L’impôt soulève immédiatement la question de sa légitimité. Comment justifier que l’on retire de la richesse
à un individu sans lui offrir une contrepartie directe ? La justification se trouve dans le caractère
essentiellement politique de l’impôt. Il est légitime car il est la condition sine qua non de l’existence d’une
société politique. Dans le monde contemporain, la société politique essentielle est l’Etat. Il y a donc un lien
entre l’Etat et l’impôt.
D’autre part, l’impôt a été un élément fondamental d’évolution des régimes politiques. En ce sens que le
principe du consentement à l’impôt est à l’origine des régimes démocratiques contemporains.
A. Le lien consubstantiel entre l’Etat et l’impôt
- Point de vue historique :
Il nous faut remonter à la chute de l’Empire romain d’occident qui est traditionnellement daté de 476 après
J.-C. En effet, la disparition de l’Etat à l’époque, entraîne la disparition des impôts qui étaient jusque
alors perçus. Ne vont subsister que certains droits de péage acquittés dans certaines circonstances
(franchissement de l’impôt).
De façon plus générale, la disparition de l’Etat entraîne la disparition des finances publiques. En effet,
durant une grande partie du Moyen-Âge, on va considérer que le roi devait vivre des revenus de son
domaine, c’est à dire des revenus que lui procuraient ses propriétés.
On peut ainsi estimer que cette période est marquée par la disparition du pouvoir politique. Ne subsiste
alors que pouvoirs de nature privée, distribués entre les différents seigneurs, le roi n’étant que le parieur.
Cette situation ne sera pas définitive parce que les revenus du domaine royal vont progressivement apparaître
insuffisant pour faire face aux besoins financiers d’un pouvoir politique en voie de reconstitution. Pour faire
face à cette situation, les conseillers du roi vont inventer une distinction entre :
• d’une part les finances ordinaires du roi : elles continuaient à être alimentées par les revenus de son
domaine
• et d’autre part les finances extraordinaires du roi : elles étaient alimentées par l’impôt. Elles servent
d’abord et avant tout à faire face aux besoins militaires qui sont de plus en plus fort au fur et à mesure de
la reconstitution de l’Etat.
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Or, le propre de l’Etat est de détenir le monopole de la violence sur son territoire. Mais si on constate le lien
entre l’existence de l’impôt et l’existence de l’Etat qui constitue le cas territorial, l’expression d’un pouvoir
politique.
- Point de vue du droit positif :
Ce lien entre l’Etat et l’impôt on peut le souligner en prenant les organisations internationales (OI) et les
collectivités territoriales.
Les premières n’ont pas de compétence fiscale, les ressources de l’UE proviennent des versements des Etats
membres. Autrement dit, les OI n’ont pas le pouvoir de créer ni de lever les impôts. Ceci étant, cela ne
signifie pas que le droit international ou le droit communautaire n’ait pas d’influence sur le droit fiscal des
Etats. CE assemblée 3 février 1989 Compagnie Alitalia.
S’agissant des collectivités territoriales, elles n’ont en France qu’un pouvoir fiscal relatif. C’est à dire que ce
pouvoir dépend directement des décisions de l’Etat. Ce pouvoir n’existe qu’autant que l’Etat le souhaite. En
effet, selon l’ART 72-2 C les collectivités territoriales doivent disposer de ressources propres, mais celles-ci
ne proviennent pas obligatoirement de l’exercice de compétence fiscale par la collectivité territoriale.
B. Le lien entre l’impôt et l’émergence des régimes politiques contemporains
Les régimes politiques contemporains sont nés de la question du consentement à l’impôt. En effet, on vient
de voir qu’il était indiqué au Moyen-Âge que le roi devait vivre des revenus de son domaine. Que se passe-t-
il dès lors que ces ressources ordinaires sont insuffisantes et qu’il est nécessaire de lever l’impôt ?
Pour faire face à cette problématique, les barrons anglais ont imposé au roi Jean Sans Terre la nécessité de
recueillir le consentement des représentants des contribuables. Ce principe du consentement à l’impôt est
formulé pour la première fois dans la Magna Carta « Grande Charte » de 1215 qui est au fondement des
régimes démocratiques contemporains.
C’est à partir du consentement à l’impôt que va se développer la notion de budget et de régime
parlementaire. Ce développement du consentement jusqu’au budget et au régime parlementaire ne sera pas
linéaire, il a fallu deux révolutions en Angleterre :
• une en 1648 avec une exécution à la hache de Charles Ier,
• et une en 1688 pour que les bases du régime parlementaire soient définitivement posées et acquises.
En France, comme en Angleterre, il était admis au Moyen-âge que le roi devait suffire à ses dépenses avec
les revenus de son domaine. Et si des circonstances extraordinaires nécessitent la levée de l’impôt, le roi
devait demander l’autorisation de lever cet impôt aux états-généraux. Ce principe a été proclamé par les
états généraux de 1314, un siècle après les anglais, à l’initiative de Philippe IV le Bel.
Pourtant, l’usage de faire voter désormais toute levée d’impôt par les états-généraux ne va pas s’établir. Tout
simplement parce que les circonstances ne vont pas permettre aux états-généraux de développer leur pouvoir.
En effet, en 1314 le roi obtient l’autorisation de lever la taille pour financer l’armée. Et survient la guerre de
100 ans (1337-1453) qui oppose la France et l’Angleterre, et à son terme, le roi de France emporte la victoire
et ressort grandit politiquement. Et finalement, il gagne la permanence de l’impôt et c’est lui qui désormais
donnera au seigneur, si bon lui semble, le droit de lever des impôts sur leurs terres.
Sur des prémices à peu près identiques, on va avoir une évolution non pas parallèle mais divergente.
• Du côté anglais, le parlement va acquérir le pouvoir : au XVIIème siècle, ils aboutissent à un régime
parlementaire.
• et en France le roi va prévenir la permanence de l’impôt et acquérir le pouvoir d’autoriser ou non les
seigneurs à lever l’impôt sur leurs terres. Au XVIIème siècle, on aboutit à la monarchie absolue.
En France, le principe du consentement à l’impôt va finalement être consacré en 1789 dans l’ART 14
DDHC. Donc à partir de là, les impôts sont établis par des lois. Un pas décisif est franchi dans la direction
d’un régime plus démocratique.
II. Le caractère juridique de l’impôt
Le débat sur l’impôt est souvent pollué par des considérations qui obscurcissent ce qu’est l’impôt
juridiquement. C’est une mainmise sur la propriété privée. Il implique nécessairement la dépossession d’un
individu d’une partie de sa richesse au profit de la collectivité.
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Cette nature de l’impôt est potentiellement dangereuse pour la liberté des individus. Cette nature de l’impôt
implique donc dans un Etat de Droit un encadrement juridique du pouvoir fiscal de l’Etat. Cet
encadrement s’exprime à travers des sources nombreuses qui permettent de définir les droits et les
obligations de l’Etat et des contribuables.
A. La Constitution
Depuis qu’on a instauré la QPC, la matière fiscale y est particulièrement sujette. Trois dispositions
constitutionnelles concernent directement les impôts :
• L’ART 13 de la DDHC qui pose le principe de nécessité de l’impôt et le principe d’égalité.
• L’ART 14 DDHC qui pose le principe du consentement à l’impôt, le principe de légalité de l’impôt et le
principe du contrôle de l’usage de l’impôt par l’exécutif c’est à dire le contrôle des dépenses publiques.
• ART 34 al. 2 C qui reprend le principe de légalité de l’impôt de l’ART 14 DDHC.
B. Les traités internationaux
Selon l’ART 55 C, les traités internationaux régulièrement ratifiés et sous réserve de réciprocité s’imposent
aux lois. Cette supériorité des traités sur la loi ne s’étend pas à la coutume internationale (CE 1997
Aquarone). En matière fiscal, on peut évoquer deux éléments :
• les conventions fiscales tendant à éviter les doubles impositions ;
• et le droit communautaire.
- Les conventions fiscales tendant à éviter les doubles impositions :
Elles sont apparues sous la monarchie de juillet. La première convention est signée en 1843 entre la France et
la Belgique.
Ces conventions fiscales ont pour but principal d’éviter qu’un contribuable acquitte l’impôt deux fois. Une
fois auprès de l’Etat de résidence et une fois auprès de l’Etat dont il est national. La France est liée par ce
type de convention avec environ 130 pays.
Pour éviter les doubles impositions, ces conventions s’appuient sur le principe de territorialité :
• Pour l’impôt sur le revenu, c’est l’Etat de résidence du contribuable ou l’Etat de la source de son revenu
qui se verra reconnaître le soin d’imposer.
• Pour l’impôt sur la fortune ce sera le lieu d’implantation des immeubles.
• Pour l’impôt sur les successions ce sera l’Etat où a été ouverte la succession donc le lieu du dernier
domicile du défunt.
Ces conventions prévoient aussi une assistance administrative, c’est à dire qu’elles prévoient que les
administrations fiscales échangent les informations qu’elles peuvent avoir sur tel contribuable.
- Le droit communautaire :
A côté de ces conventions fiscales, il faut aussi évoquer le droit de l’UE. Ce droit a une incidence fiscale tant
du point de vue du droit originaire que du droit dérivé.
• Droit originaire :
Certaines stipulations des traités se font reconnaître l’effet direct et emporte potentiellement conséquences
sur des matières fiscales : interdiction faite aux Etats membres d’introduire des droits de douane entre eux ou
des taxes d’effet équivalent. Cette interdiction a effet direct, comme l’a reconnue la CJUE le 5 avril 1962
Van Gend en Loos, cassation commerciale 7 novembre 1989 Dubois.
• Droit dérivé :
Il va être posé des directives communautaires. En matière de fiscalité, l’effort d’harmonisation concerne la
fiscalité des entreprises et l’impôt de consommation.
S’agissant de la fiscalité des entreprises, il y a deux directives du 3 juillet 1990 :
• La première instaure un régime fiscal commun applicable aux fusions scissions apports d’actifs et
échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres différents.
• La seconde directive concerne le régime fiscal commun applicable aux sociétés-mères et aux filiales
d’Etats membres différents.
En matière d’impôt de consommation, le Traité de Rome de 1957 distingue :
• les droits de consommation (accises)
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• et l’impôt général sur la dépense (TVA).
L’harmonisation des accises a été achevée en 1992, et sont concernés le tabac, les huiles minérales
(l’essence) et les boissons alcoolisées. Chacun étant soumis à une fiscalité spécifique.
L’harmonisation de la TVA au niveau européen a été progressive, elle débute en 1976 et on peut aujourd’hui
la considérer achevée dans le mesure où on a abouti à une harmonisation des taux par la prescription de taux
minimums.
C. La loi
La loi est la source principale du droit fiscal. Le principe de légalité est particulièrement développé en droit
français puisqu’il concerne l’impôt et les taxes fiscales.
L’impôt est perçu par voie d’autorité à titre définitif et sans contrepartie directe. La taxe fiscale est perçue par
voie d’autorité à l’occasion du fonctionnement d’un service public déterminé et sans que son montant soit en
corrélation avec le coût du service. Ces taxes peuvent être perçues même sans utilisation effective du service
public. Par exemple la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
Le respect du principe d‘égalité implique que l’administration, donc le Gouvernement, ne peut instituer ni
impôt ni taxe fiscale sans autorisation législative. Par ailleurs, les régimes auxquels sont soumis les impôts et
taxes ne peuvent être modifiés par voie réglementaire. Cette interdiction de lever des impôts non autorisés
par la loi est pénalement sanctionnée, c’est le délit de concussion.
Il appartient donc au législateur de fixer les règles en matière d’imposition. De ce point de vue là, le Conseil
Constitutionnel exige que les règles fiscales soient déterminées par le législateur avec une précision
suffisante. Conseil Constitutionnel n°85191 Droit commercial du 10 juillet 1985.
Il appartient donc au législateur de fixer les règles concernant l’assiette de l’impôt qui recouvre :
• la création ou la suppression de l’impôt,
• ainsi que la détermination des matières imposables,
• la définition des assujettis
• et la définition du fait générateur de l’impôt.
Il appartient ensuite au législateur de fixer les règles relatives au taux de l’impôt ce qui recouvre :
• la définition de l’impôt stricto sensu,
• la définition des règles de calcul,
• et la définition des règles d’exonération.
Enfin, il lui appartient de déterminer les règles de recouvrement de l’impôt, c’est à dire :
• la désignation de l’organe chargé du recouvrement,
• le choix des modalités de paiement
• et le choix du système de recouvrement.
D. Le règlement
Il nous faut distinguer l’Etat des collectivités territoriales.
- L’Etat :
En matière fiscale, le pouvoir réglementaire de l’Etat est un pouvoir réglementaire d’application. Il
appartient ainsi au Premier ministre de prendre par décret les mesures d’application qui sont nécessaires à la
mise en oeuvre des règles fixées par le législateur.
Ces mesures d’application prises par le pouvoir réglementaire ne doivent pas mettre en cause les règles et
principes fondamentaux qui relèvent du domaine de la loi.
Ce pouvoir réglementaire d’application peut s’exercer alors même que la loi ne prévoit pas expressément son
intervention.
Enfin, les décrets d’application ne peuvent avoir pour objet ni pour effet de modifier les règles législatives
d’assiette, de taux et de recouvrement de l’impôt.
- Les collectivités territoriales :
La situation des collectivités territoriales apparaît constitutionnellement plus favorable que celle du pouvoir
réglementaire national. En effet, l’ART 72-2 C autorise le législateur à habiliter l’organe délibérant d’une