Chapitre 2 : La justification du pouvoir
Section 1 : La question du détenteur de la souveraineté
1. Définition et signification de la notion de souveraineté
On va parler de la question de la souveraineté dans l’Etat et non de la
souveraineté de l’Etat. Qu’est ce qui justifie que certains hommes nous
gouvernent ? Qu’est ce qui justifie leur souveraineté ? La question est de savoir
ce qui fonde la légitimité de certains hommes à gouverner les autres. On parle en
ce moment de crise de légitimité. Qui est à l’origine du pouvoir dans l’Etat ? Au
nom de qui s’exerce le pouvoir ?
Il faut trouver un fondement juridique au pouvoir, depuis la Révolution, on
considère que la légitimité des gouvernants vient de ce qu’ils sont censés
exprimer une volonté qui n’est pas la leur, mais celle du titulaire véritable du
pouvoir (càd du souverain). Ceci va de pair avec l’institutionnalisation du pouvoir.
2. La souveraineté appartient au peuple ou à la nation
La réponse la plus simple serait de dire que c’est le peuple qui détient la
souveraineté et que les gouvernants sont légitimes parce qu’ils exercent le
pouvoir au nom du peuple. Cette réponse était trop démocratique pour les
révolutionnaires français. Pour eux, l’objectif est de justifier le pouvoir tout en
écartant le peuple de la gestion des affaires. Les révolutionnaires français
mettent au point une autre théorie pour justifier le pouvoir.
A) L'opposition traditionnelle entre souveraineté nationale et
souveraineté populaire
La théorie de la souveraineté populaire
On la doit à Rousseau, « le Contrat social » publié en 1762.
Principe : qui détient la souveraineté ? Le peuple, ensemble des citoyens vivant
à un moment donnée sur le territoire de l’Etat, est l’unique titulaire de la
souveraineté. Le détenteur de la souveraineté est donc un être concret.
Implications : comment s’exerce la souveraineté ? Le pouvoir peut être exercé
directement par le souverain (le peuple), on justifie alors la démocratie directe.
Tous les citoyens doivent donc participer directement au vote de la loi, laquelle
exprime la volonté générale. La volonté générale, c’est donc la volonté du peuple
qui se traduit dans la loi.
Il y a un danger, c’est d’installer la dictature de la majorité. Il dit que la minorité
est dans l’erreur. Rousseau avait conscience des limites pratiques de son
système, il écrit « même la Corse sera un territoire trop grand pour la démocratie
directe », il concède donc des aménagements dans l’exercice de la souveraineté
populaire :
- le recours au referendum seulement pour les lois les plus importantes, qui
doivent donc être adoptées par le peuple lui-même
- l’élection par le peuple de délégués (des commissaires) qui seraient liés au
peuple par un mandat impératif. Dans le cadre de ce mandat, les élus
n’ont pas pour fonction d’exprimer la volonté du souverain à la place des
électeurs (sinon, il y aurait usurpation de la souveraineté pour Rousseau).
Ils ne font donc qu’exposer la volonté des électeurs transmise par
instructions, et agissent sous le contrôle des citoyens, cela implique donc
un droit de révocation du délégué.
Dernière implication de la théorie de la souveraineté populaire : le vote est
considéré comme un droit, car chaque citoyen est détenteur d’une parcelle de
souveraineté. L’électorat, càd l’aptitude juridique à voter, est un droit. On parle
,d’électorat-droit, c’est le suffrage universel. Dans notre histoire, il y a seulement
deux constitutions qui ont proclamé le principe de la souveraineté populaire, celle
de 1795 mais surtout celle de 1793. La Constitution de 1793 appelée
Montagnarde est la plus proche des idées de Rousseau, elle proclame à l’article 7
que « le peuple souverain est l’universalité des citoyens français » et « le peuple
souverain délibère sur les lois ».
La théorie de la souveraineté nationale
On la doit à Emmanuel Sieyès, député du tiers-état, surnommé la taupe de la
Révolution, il a énormément influencé la Révolution : il a rédigé le serment du jeu
de Paume et il a proposé que le tiers-état se proclame assemblée nationale. Il a
écrit tout ceci dans une brochure : « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? ».
Principe : qui détient la souveraineté ? La nation détient la souveraineté est
donc une entité abstraite (une collectivité indivisible et perpétuelle).
Implications : comment s’exerce la souveraineté ? La nation ne peut exercer sa
directement sa souveraineté, ni même avoir de volonté propre. Par conséquent,
impossible démocratie directe et le pouvoir législatif ne peut être exercé que par
des représentants qui ont pour fonction d’exprimer la volonté générale au nom
de la nation (régime représentatif). Les représentants s’expriment au nom et à la
place du souverain et on présume que la volonté qu’ils expriment est la volonté
du souverain.
La nation étant une entité distincte des individus qui la composent, nul n’a le
droit de prétendre parler en son nom, chaque citoyen n’est pas titulaire d’une
parcelle de souveraineté. C’est donc l’inverse de la théorie de Rousseau.
Nul par conséquent n’a un droit à être électeur. La capacité à voter n’est pas un
droit mais une fonction, on parle donc d’électorat-fonction.
Il faut, pour être électeur, remplir les conditions fixées par la Constitution, la
théorie est donc malléable :
- la Constitution peut donner la fonction de voter à tous les citoyens
suffrage universel
- ou simplement à certains d’entre eux (par ex aux plus riches) suffrage
censitaire = suffrage dans lequel la qualité d’électeur est subordonnée au
paiement d’un certain niveau d’impôt appelé « cens ». C’est le choix fait
dès la première Constitution (1791). Le constituant de 1789-1791 fait le
choix de la souveraineté nationale. On le voit à l’article 3 de la DDHC :
« le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
Nation ».
Constitution de 1791, article 3, titre II : « la Constitution française est
représentative : les représentants sont le Corps législatifs et le roi ». Le corps
législatif représente les députés. On affirme que le roi est un représentant de la
nation car on cherche à justifier la monarchie. Il faut bien légitimer le pouvoir du
roi, pour le justifier, on dit qu’il est un représentant. L’intérêt de la souveraineté
nationale est qu’elle est compatible avec la monarchie et compatible avec le
suffrage censitaire. Cette théorie est donc davantage conforme aux intérêts de la
classe bourgeoise qui a lancé la Révolution.
La nation est le concept clé de la Révolution française.
B) La nécessaire remise en cause de cette opposition
On doit remettre en cause cette opposition pour deux raisons :
- Il y a des contradictions au sein de la DDHC de 1789 : l’article 3 prône la
souveraineté nationale alors que l’article 6 prône la souveraineté populaire
(idée de Rousseau). Les révolutionnaires ont sans doute voulu rendre
hommage à Rousseau.
, - Aujourd’hui, on a opéré la synthèse entre les deux conceptions de la
souveraineté depuis la Constitution de 1946 (article 3 : « la souveraineté
nationale appartient au peuple français »).
La Constitution de 1958 appuie ce mélange des théories (article 3 : « la
souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses
représentants et par la voie du referendum »). De nos jours, on confond
largement les termes peuple et nation. En 1958, on cherche à justifier la
démocratie semi-directe = régime qui réalise une combinaison de la
démocratie représentative et de la démocratie directe. Il faut se méfier de
cette expression car en réalité, le referendum occupe une place très
accessoire.
La nouveauté en 1958 est que l’on introduit le referendum législatif pour
l’adoption des lois ordinaires (nouveauté).
Ce qui domine est la souveraineté nationale et donc le régime
représentatif. L’exercice de la souveraineté par des représentants élus est
donc le mode normal de gouvernement. On est bien en souveraineté
nationale mais la théorie de Sieyès s’est démocratisée.
Section 2 : Les modes d'exercice de la souveraineté
1. Les différentes formes de démocratie
Intro : La classification ancienne des formes de gouvernement
On distingue trois formes simples de gouvernement :
- la monarchie ou le gouvernement d’un seul
- l’oligarchie ou le gouvernement de quelques-uns (quand cette minorité
tient son pouvoir de la naissance, c’est l’aristocratie)
- la démocratie ou le gouvernement de tous
Cette classification est basée sur un critère uniquement quantitatif et elle est
complétement dépassée pour deux raisons :
- Des monarchies peuvent en même temps être des régimes démocratiques
(ex : GB, Monaco…). Dans ces monarchies constitutionnelles, le monarque
est effacé et le pouvoir est exercé par un parlement démocratiquement
élu.
- Si on se basait sur ce critère purement quantitatif, il faudrait en conclure
que les démocraties n’existent pas car le gouvernement de tous n’existe
pas en pratique.
En réalité, la démocratie n’est pas le gouvernement de tous, c’est le système
dans lequel le peuple est à la source du pouvoir.
A)L'utopique démocratie directe
C’est un système où le peuple se gouverne directement lui-même. Rousseau
avait conscience des limites de ce système, il avait dit qu’il faudrait un territoire
pas plus grand que la Corse. Il dit que « pour bien fonctionner, la démocratie
directe suppose une bonne dose de vertu », il faut que chacun vise l’intérêt
général et non son intérêt personnel.
Il faut renvoyer à l’Antiquité pour le point de vue historique. Ces expériences
antiques conservent une valeur symbolique importante.
Exemple actuel : en Suisse, l’assemblée des citoyens fonctionne encore dans
quelques cantons. C’est plus un folklore plutôt qu’un véritable système de
gouvernement : beaucoup d’absentéisme, les débats sont superficiels, le
décompte des voix est approximatif.
Tous les régimes politiques sont donc représentatifs.
B)La démocratie représentative, forme normale de gouvernement