L’analyse économique des crises
I- Les crises au 19e siècle, leurs explications théoriques et les débats qu’elles
suscitent :
A) La typologie d’Ernest Labrousse (1943) :
1- Les crises d’Ancien Régime :
Origines : choc exogène, provenant des aléas climatiques (théorie des tâches solaires de Jevons en 1878): on parlera
de « crise frumentaire »*. Ces crises touchent la population (clochers de mortalité suite aux famines) et la demande.
Labrousse, dans La crise de l’économie française à la fin de l’Ancien régime (1943), montre que ces crises
frumentaires sont aggravées par les droits de douanes, qui empêchent l’autorégulation de l’économie via
l’importation des produits agricoles. Les crises frumentaires disparaissent donc au moment de l’ouverture des
marchés internationaux (abolition des Corn Laws en GB, 1846).
2- Les crises mixtes de la première moitié du 19e siècle :
Origine : la chute des rendements agricoles qui résulte de la crise frumentaire fait augmenter le prix du blé, qui va
alors devenir l’unique bien que les ménages vont pouvoir consommer, au détriment de la conso de biens industriels :
la crise s’étend alors à l’industrie, puis au niveau bancaire comme en France en 1846-1851.
Explication de cette crise : la demande de biens industriels diminue. Les entreprises se retrouvent alors dans une
situation de surendettement auprès des banques, qui elles se retrouvent avec des « créances insolvables ». D’où
une crise de confiance : les cours boursiers s’effondrent. Pour retrouver de la liquidité, les banques augmentent le
taux d’intérêt. Cela accentue alors la dépression, car les entreprises ne font plus appel au crédit, jugé trop cher. Mais
cela fait disparaitre les « canard boiteux », l’éco s’assainit et repart. [cf travaux de Juglar]
3- Les crises industrielles s’imposent dès la seconde moitié du 19 e siècle, car l’industrie devient le secteur
dominant du point de vue des richesses créées :
Origines : choc endogène, provenant des structures internes du système productif : trop d’offre par rapport à la
demande (état de surproduction). Tendance à la baisse des profits des entreprises. [cf travaux de Marx]
Cette crise se prolonge en crise sociale : chômage, salaires à la baisse. Elle touche enfin le système bancaire (cf
schéma supra) puis le système financier : anticipation de la baisse des cours car les entreprises font moins de profit.
Ex : Grande Dépression (1873-1896) puis crise de 1929.
B) Au 19e siècle, les analyses sur les crises divisent les économistes contemporains :
1- Say et Ricardo montrent que la crise de surproduction est impossible :
Say remet en cause leur existence avec sa loi des débouchés, qu’il développe dans son Traité d’Economie
Politique (1803, L1 chap 15) : dans une économie soumise aux règles du marché, la crise de surproduction est
impossible. Ricardo abonde dans son sens : d’après la loi de la gravitation une crise ne peut être que locale et
provisoire, mais jamais générale.
2- Mais Sismondi et Malthus contestent la validité de la loi des débouchés :
Sismondi dans Nouveaux Principes d'Economie Politique (1819) explique les crises par la théorie de la sous-
consommation ouvrière : la demande effective est insuffisante car les ouvriers n’ont pas le pouvoir d’achat. Malthus,
dans Principes d’Economie Politique (1820) lui, les explique par la théorie de la sous-consommation capitaliste : les
travailleurs ne peuvent pas acheter les biens de luxe qu’ils produisent. S’il y a crise de surproduction, c’est parce que
les classes supérieures ne veulent pas acheter ces biens.
, 3- Marx s’accorde avec Sismondi, et voit les crises comme des régulations du capitalisme, de toute façon
appelé à se détruire lui-même :
La crise économique chez Marx s’explique par la loi de la baisse tendancielle des taux de profit (Le Capital,
1867). De plus, comme Sismondi, elles sont dues à la faiblesse de la consommation, car les profits sont consacrés à
l’accumulation du capital et non pas à l’augmentation des salaires, qui sont d’autant plus faibles que la population en
ville augmente.
Pour Marx, les crises sont des régulations provisoires du capitalisme, qui est de toute façon condamné à
disparaitre de ses propres contradictions (« La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs », Le Manifeste
du parti communiste, 1848)
Schumpeter, dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), s’interrogera, tout comme Marx, sur l’avenir du
système : le capitalisme est voué à s’autodétruire, au profit du socialisme (ce qui le désole) : en effet, la tendance à la
bureaucratisation fait progressivement entrer l’économie dans une situation de routine, règne du circuit circulaire,
empêchant l’émergence des entrepreneurs, et donc de l’innovation : c’est le « crépuscule de la fonction
d’entrepreneur ».
4- Dans les années 1870-1880, les NC renouent avec les idées de Say et de Ricardo :
William S. Jevons et Carl Menger 1871, puis Léon Walras en 1874, considèrent que la crise est théoriquement
impossible : si toutefois elle intervient, elle provient de facteurs externes qui auront entravé le libre jeu des marchés.
C’est pourquoi ils prônent la non-intervention de l’Etat.
II- La crise de 1929, ses explications théoriques et les débats qu’elle suscite :
A) La crise de 1929 : dépression, déflation, chômage, contraction du commerce international :
Le 24 octobre 1929, Wall Street connait son « Jeudi noir » : une chute des cours boursiers de 30%. Il revient à
John Kenneth Galbraith d’avoir analysé l’éclatement de cette bulle spéculative dans The Great Crash 1929 (1954). Il
résulte de cette crise une dépression, puisque elle se traduit par une contraction généralisée de la production entre
1929 et 1933. La crise se propage au niveau international car les USA sont contraints de rapatrier leurs capitaux,
faisant chuter la production, le taux d’investissement et le niveau des prix de tous les PDEM. Cette baisse des prix est
amplifiée par la spirale déflationniste* qui touche tous les pays, qui se recentrent sur eux-mêmes par une
contraction du commerce international (tarifs McKenna GB déjà en 1915, tarifs Smoot-Hawley USA 1930) et des
dévaluations compétitives* généralisées à partir de 1931. Enfin, tous les pays connaissent un taux de chômage
massif. Cette irresponsabilité des USA dans les années 1930 fera dire à Charles Kindleberger dans La grande crise
mondiale 1929-1930 (1988) que la crise est due à une « absence de leadership » en matière de politique
économique.
B) Les explications libérales de la crise de 1929 :
1- L’analyse néoclassique explique le chômage par la rigidité des prix à la baisse :
Alors que la crise de 1929 fait rage, Pigou va expliquer le chômage massif par la rigidité des salaires à la baisse, à
cause du salaire minimum, lui-même causé par l’existence de syndicats puissants. Or, l’idée est que si on « laisse
faire » les mécanismes du marché, et notamment la flexibilité des salaires, ceux-ci vont baisser en période de
chômage et ainsi rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande de travail. La même année, en France, Jacques Rueff
soutient la même dans thèse dans son article « L’assurance-chômage, cause du chômage permanent ». Peu après,
Lionel Robbins dans La Grande Dépression (1934) développe une analyse voisine : le chômage est volontaire, causé
par le refus des travailleurs d’accepter un salaire plus faible.
Les 3 auteurs considèrent donc que la crise correspond à un assainissement du système suite à l’accumulation de
dysfonctionnements dans les 1920s.
2- Les analyses de Friedman et Hayek s’inscrivent dans la même veine que celle d’un Robbins, d’un Pigou ou
d’un Rueff : la crise de 1929 trouve son origine aux USA dans une erreur prolongée de la politique éco :
Pour Milton Friedman dans The Great Contraction (1965), la crise vient de causes monétaires : la baisse des taux
d’intérêt dans les années 1920 a trop favorisé le crédit et par-là la spéculation. Inversement, c’est l’insuffisance de