LECTURE LINEAIRE : LA LORELEY
Introduction :
Rappel des informations relatives au recueil, à Apollinaire, à la période de création pendant un séjour
en Allemagne. Come dans Nuit rhénane et dans Mai, le paysage vu donne lieu à une rêverie qui, ici,
transforme le paysage vu en un paysage lu.
La Loreley occupe une place centrale dans la section des Rhénanes, elle en est le cœur, Apollinaire
met en scène un personnage issu de la tradition littéraire allemande qui est devenu un véritable
mythe littéraire. En effet, Brentano, Heine, qui sont des poètes romantiques allemands ont déjà
exploité ce personnage.
La Loreley incarne cette sirène qui « laiss[e] mourir d’amour tous les hommes à la ronde » ; telle la
sirène homérique, elle attire par son chant(/charme) les marins qui périssent pour avoir cédé à
l’amour. Mais Apollinaire développe ici un autre volet du mythe : la Loreley n’est pas qu’une femme
fatale, elle est aussi une amoureuse malheureuse qui désire elle aussi la mort faute d’amour, sa
plainte rejoint celle de ses victimes dans un chant élégiaque.
Projet de lecture : Apollinaire développe ce poème comme un conte dont il respecte le schéma
narratif et les personnages tout en accordant au personnage central une plainte amoureuse
élégiaque où le « je » de la sirène révèle le « je » du poète.
Vers 1 : Apollinaire ouvre le poème comme un conte. Le complément circonstanciel de lieu : « A
Bacharach » n’évoque, chez le lecteur français, aucun lieu connu et correspond bien au lieu imprécis
propre au conte, le choix des sonorités en « a » témoigne d’un souci plus poétique que
géographique. La formule attendue du conte est également présente : « il y avait ». Ce contexte
féérique est confirmé par l’identité du personnage principal : « une sorcière blonde ». Apollinaire
croise ici deux composantes antithétiques du personnage par l’oxymore qui associe la sorcière,
personnage maléfique qui lance des sortilèges et la princesse, dont la blondeur est toujours gage de
beauté et d’amour.
Vers 2 : Le vers 2 développe une proposition relative qui donne la caractéristique principale du
personnage féminin. La Loreley « laisse mourir », le verbe indique une passivité, presque une
impuissante malheureuse. Telle une maladie, l’amour que provoque la sirène donne la mort en
nombre : « à la ronde ». La femme est présentée ici comme un fléau dont la cité doit se débarrasser.
Vers 3 et 4 : Le contexte médiéval est posé par la présence d’un nouveau personnage ; l’évêque et
son tribunal. Le Moyen Age est bien l’époque de la chasse aux sorcières par le tribunal ecclésiastique
de l’inquisition. Les sorcières étaient considérées comme des êtres diaboliques, détentrices de
pouvoirs magiques. Apollinaire imagine donc un procès de sorcière comme l’indique le
verbe : « citer » qui signifie appeler à la barre pour comparaître. Mais le complément circonstanciel
de temps : « Par avance » indique la rapidité de la décision de l’évêque, avant même la tenue d’un
procès, la Loreley n’est pas condamnée. Le verbe « absoudre » est conjugué au passé simple, temps
incorrect, inventé par Apollinaire, l’évêque accorde son pardon, non par miséricorde chrétienne,
mais tout simplement parce qu’il est lui-même touché. Le complément circonstanciel de cause : « par
sa beauté » signale les décisions à venir ; l’évêque est frappé comme « tous les hommes à la ronde »,
bien évidemment la cause : la beauté, n’est pas un motif recevable de la part d’un évêque,
représentant de l’Eglise. La beauté de la Loreley balaie la force de la foi chrétienne.
Vers 5 et 6 : Le récit est interrompu par le discours de l’évêque au style direct. Loin de s’exprimer
comme un évêque chargé d’un procès de sorcellerie, ce dernier dit tout le charme qui émane de la
, « sorcière blonde ». L’apostrophe : « O belle Loreley » indique d’emblée qu’il est conquis, envoûté.
Les allitérations en é et en o, les assonances en l témoignent de son admiration : les sons de « O
belle » qui la qualifient sont repris dans son nom : « Loreley » comme si son nom contenait déjà la
force de sa beauté. Le premier élément notable de la sirène est son regard : « aux yeux pleins de
pierreries ». De manière traditionnelle, le regard constitue l’élément attendu du blason féminin dans
la mesure où ce sont les yeux qui sont le vecteur du sortilège amoureux, les yeux « frappent »
d’amour. La métaphore des « pierreries » indique un regard scintillant, qui jette des éclats, tel le
regard d’une vipère. Au danger s’allie l’idée de rareté précieuse, le regard de la sorcière est d’une
puissance non-humaine. Le vers 6 exprime sous la forme d’une question oratoire le mystère de la
puissance de l’amour. « De quel magicien » pose la question de l’origine surnaturelle parce
qu’incomprise de la puissance de l’amour considérée comme une concurrence déloyale de l’amour
divin d’où l’idée de « sorcellerie ».
Vers 7 et 8 : La Loreley répond aux accusations de l’évêque. Elle ne revendique aucune victoire mais
exprime plutôt le malheur de provoquer une mort dont elle ne tire aucune fierté. La Loreley
provoque le malheur et de cela, elle est aussi malheureuse : « lasse de vivre » indique une volonté de
mourir dont la première cause est le désastre qu’elle provoque. Elle qualifie ses « yeux » de
« maudits ». L’adjectif indique bien qu’elle est le jouet d’une force qui la dépasse, elle est non pas
coupable mais victime. L’équation entre son regard et la mort est montrée au vers suivant : « Ceux
qui m’ont regardée », les hommes victimes de l’amour fatal sont désignés dans une périphrase qui
rend bien compte du nombre considérable de morts. La rime « péri » « maudits » met sur le même
plan la prétendue coupable et les victimes ; tous sont victimes.
Vers 9 et 10 : La Loreley garde la parole pour exposer son point de vue. Elle reprend les propos de
l’évêque qui qualifiait ses yeux pour donner sa propre définition. Ses yeux ne sont pas, selon elle, des
pierreries, rien de précieux. Ses yeux sont des « flammes », ils ont un pouvoir destructeur qu’il faut
réduire. Les deux impératifs : « Jetez jetez » ne sont pas des ordres mais une prière, une supplication
de la Loreley qui réclame la mort que l’évêque, par amour, lui refuse. La sorcière devient son propre
juge, se substituant à l’évêque en réclamant la destruction du maléfice. La répétition de « flamme »
est une métaphore du regard de la Loreley puis une métonymie du bûcher des sorcières.
Vers 11 et 12 : L’évêque reprend la parole pour s’avouer vaincu, succombant lui-même aux flammes
de l’amour, il ne peut condamner la Loreley. Le vers 11 par la répétition de flambe/flamme crée des
allitérations et des assonances qui provoquent un effet d’écho avec les vers 9 et 10 ; les sifflantes :
« fl » marquent de manière tragique l’effet inéluctable de l’amour. La reprise de l’apostrophe : « O
belle Loreley » produit les mêmes effets sonores qu’au vers 5. Le vers 12 marque une étape dans le
schéma narratif : « Qu’un autre te condamne » signifie la fin du procès à peine entamé. L’évêque
s’avoue vaincu, « tu m’as ensorcelé », les forces maléfiques de la sorcière blonde ont eu raison de la
puissance de la foi de l’évêque.
Vers 13 à 20 : La Loreley reprend la parole pour un discours qui expose ses arguments, eux-mêmes
appuyés sur des éléments importants de son passé. La Loreley n’est pas ici une sorcière inhumaine
qui provoque la mort, elle est une amante malheureuse qui réclame la mort.
Tout d’abord, elle conteste l’abandon du procès par l’évêque. Vers 14, l’apostrophe : « Evêque »
suivie d’un reproche : « vous riez », et d’un impératif : « Priez » indique la volonté de la sorcière qui
ne veut pas être abandonnée. L’homophonie entre riez/priez renvoie bien l’évêque à ses obligations :
il ne peut rire, c’est-à-dire prendre à la légère ces morts tragiques, il doit assumer son rôle : « priez ».
Le jeu des lettres fait du verbe rire un élément contenu dans le verbe prier puisqu’ il suffit de rajouter
une lettre à l’un quand les verbes sont à l’impératif : riez/ priez ; après avoir ri, l’évêque doit prier. La