Les lieux de pouvoir en Grèce antique
Introduction
Dans son ouvrage Le portrait du roi, Louis Marin nous livre sa réflexion sur la notion de
pouvoir et sur sa représentation. Il définit le pouvoir comme la capacité « d'exercer une action sur
quelque chose ou quelqu'un », cette capacité est la puissance inhérente à l'agent de pouvoir. La
représentation serait alors « à la fois moyen de la puissance et sa fondation ». Les réflexions de
Louis Marin se fondent sur les images de la monarchie absolue dans la France du XVIIe siècle.
Cependant, nous pouvons appliquer cette étude du pouvoir et de la représentation à une période
antérieure, celle de l'Antiquité. En effet, l'Antiquité est une période intéressante car les régimes
antiques ont bien souvent déterminés la pensée politique moderne et contemporaine1. L'exemple le
plus flagrant serait la démocratie, héritée de la Grèce antique et largement diffusée de nos jours,
mais nous pouvons également faire un lien avec les régimes totalitaires de la seconde moitié du
XXème siècle. Nous ne pouvons ignorer l'influence de la Rome antique sur le régime fasciste de
Benito Mussolini de 1922 à 1943, qui a montré sa volonté de s'inscrire dans une lignée impériale,
notamment en érigeant de nombreux monuments, comme la « Piazza Augusto Imperatore » sur les
bords du Tibre. L'étude du pouvoir et de ses représentations dans l'Antiquité nous permettent donc
d'éclairer bien souvent notre monde contemporain, et c'est en cela que la transposition des
réflexions de Louis Marin à cette période est pertinente. Nous pouvons donc nous interroger sur les
représentations du pouvoir par l'intermédiaire de la puissance comme « modalisation » et
« valorisation ». Pour cela, nous nous intéresserons particulièrement à la représentation élogieuse,
faisant partie d'une culture antique qui donne une place particulière à la rhétorique, encadrée par la
παιδεία.
En quoi l'éloge est-il une forme singulière, originale, de pouvoir pendant l'Antiquité ?
Pour apporter une réponse à ce questionnement nous verrons dans un premier temps que l'éloge est
une forme de pacification du pouvoir. Dans un second temps nous montrerons que l'éloge a la
particularité de pouvoir légitimer le pouvoir du dirigeant, de l’État ou de l'Empire.
Tout d'abord, l'éloge, pour rendre compte du pouvoir, permet de transformer la force brute
en puissance. En effet, la force brute est un des moyens utilisés par les Empires, les royaumes ou
encore les cités pour fonder leur pouvoir. Or, la force est caractérisée par une éphémérité, une
instabilité, la force brute est sans aucun doute efficace à un moment donné mais elle ne permet pas
1 Par exemple l’axialité sacralisante chez Louis XIV
, d'inscrire, à elle seule, un pouvoir dans une période longue. Il faut donc la transformer, l’élever, la
transcender en véritable puissance. Ce processus est possible grâce à l'éloge. Celui-ci permet de
montrer une puissance pacifiée et durable. L'agent de pouvoir, qu'il soit Empereur, roi ou Sénat,
peut faire le choix de la représentation élogieuse pour asseoir sa puissance, en alternative à la
simple force brute. Par exemple
De plus, cette pacification du pouvoir grâce à la puissance de l'éloge permet d'inscrire
l'homme de pouvoir dans un ordre cosmique. En effet, l'éloge est une forme de rhétorique, la
rhétorique est un art de la parole qui répond à des règles précises et instituées dans la paideia. En
utilisant l'éloge du pouvoir comme principale puissance, le dirigeant s'inscrit lui et son régime dans
un monde ordonné, cosmique. Cette circonscription est une pacification, un retour à l'ordre du
pouvoir. La force est contrebalancée par l'ordre, les règles, la précision qu'implique la création
poétique. Les hymnes d'Homère sont caractérisées par ce que l'on appelle « l'hexamètre
dactylique ». Ce type de vers était très utilisé en Grèce ancienne, il est composé de six mesures
chacune composée d'un dactyle. La création artistique grecque antique en général tend à
représenter le κόσμος (l'ordre) dans lequel les hommes évoluent. Dans l'Iliade d'Homère les
pouvoirs royaux, tyranniques et démocratiques y sont représentés. Par exemple, il y fait mention à
plusieurs reprises de la Boulê, lieu de débat, de discussions dans les cités grecques ( « Le terme du
combat est dans nos mains, dit Patrocle à Mérion, le terme des discours est dans la Boulê » Iliade,
XVI, 630).
Enfin, nous ne pouvons ignorer l'utilisation de la force brute dans l'Antiquité. Mais comment
alors utilisé cette force à des fins de pacification, la violence ne mène-t-elle pas qu'à la violence ?
La représentation élogieuse permet justement d'user de la force brute dans un but de pacification,
elle va représenter, rendre compte de cette force pour montrer que la paix est le climat préférable.
Pour cela, il faut montrer un écart important entre la période de guerre et la période de paix, pour
marquer le passage entre brutalité et sérénité. Dans L'Enéide de Virgile, le passage descriptif du
bouclier donné par Vénus à Énée pour lui porter chance dans le combat et dans la victoire, est
caractéristique de phénomène de passage de la force à la pacification. En effet l'auteur raconte, à
travers la description du bouclier, la bataille d'Actium (31 avant J-C) où Octave bat Marc-Antoine.
Les images présentées sont spectaculaires, avec une réelle impression de mouvement (« Tous se
ruent à la fois, l'onde se couvre d'écume, tout entière, retournée par l'effort des rames et les rostres à
trois dents . » Enéide, VIII, 626-731, trad. Jacques Perret). L'objectif de l'auteur ici est de rendre la
furie de la guerre pour montrer, par contraste, la sérénité qui en résulte grâce à Auguste. Octave est
ici mise en scène par l'éloge en force de paix, et non pas seulement en force brute. Le bouclier est
donc une forme de maîtrise de la guerre en un cercle circonscrit et ordonné (on retrouve ici d'ordre
cosmique cité précédemment). L'éloge a permis le passage de la paix victorieuse, résultat de la