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La pandémie de coronavirus qui a frappé cette année 2020 nous a montré
une chose, le théâtre est quelque chose qui se vit à plusieurs, proche du vivant. Sans
lieu dédié, le lien du public avec la pratique culturelle se délite, et cela est d’autant
plus vrai pour le théâtre qui est un art interactif. Mais alors que reste-t-il ? Le texte
lui, demeure. Forme originelle de toute pièce de théâtre, le texte théâtral est un
genre à part entière. Il répond à ses propres logiques formelles, à un public
particulier et à une économie différente des autres genres littéraires plus populaires.
Si aujourd’hui le théâtre représente 0,3% du chiffre d’affaires issus des ventes
d’ouvrages de littérature et que peu d’auteurs à succès s’essaient à cet exercice, cela
n’a pas toujours été le cas1.
En 1827, Victor Hugo, alors auteur respecté au sein du cercle des
romantiques, publie la préface de sa pièce de théâtre Cromwell. Il y théorise ce qui
deviendra le drame romantique, un genre libre en opposition au théâtre classique et
à ses règles strictes2. Il est courant à cette époque pour un auteur de s’essayer à
différents genres, Victor Hugo exprime son talent aussi bien dans ses pièces, ses
recueils de poésie ou ses romans. En 1833, il publie Lucrèce Borgia, un drame
historique en trois actes librement inspirés de la vie de Lucrèce Borgia, figure de la
cour du Vatican à la réputation sulfureuse. La pièce est un succès indéniable, elle
entre au panthéon des œuvres majeures de Hugo. Depuis sa première
représentation en 1833 mise en scène par Hugo lui-même, la pièce a été mainte fois
reprise par différents metteurs en scène. En 1985, Antoine Vitez, figure majeure du
théâtre du XXe siècle, propose sa propre interprétation de la pièce. Des
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Syndicat National de l’Edition. (2018). Analyse des chiffres clés de l’édition française en 2017. pp.20
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Hugo, V., & Anfray-Plantureux, C. (2020). Préface de Cromwell.
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représentations notables ont suivi, dont celle de Denis Podalydès en 2014 avec
Guillaume Gallienne ou encore la même année celle de David Bobée avec Béatrice
Dalle dans le rôle-titre.
Ces représentations, aussi différentes soient elles, sont toutes issues d’une
même source, le texte original de Victor Hugo. Cela signifie-t-il que le texte est
immuable et que seule la représentation théâtrale est sujet à liberté ? L’écriture de
Hugo ne peut être modifiée, bien entendu, mais c’est au niveau du regard éditorial
qu’un texte brut va prendre un sens particulier. La mise en livre d’un texte est le
fruit d’un point de vue, même au sein des éditions les plus fidèles. Aucune édition
n’est dénuée de sens ou complètement objective, le livre est nécessairement une
posture. De nos jours, le lectorat de pièces de théâtre n’est pas homogène. Si les
spectateurs assistent à une pièce selon un objectif commun, celui d’assister à une
représentation vivante pouvant leur procurer des émotions, le lecteur lui peut avoir
différents motifs. Le secteur scolaire prend une place importante au sein de
l’édition théâtrale, l’enseignement littéraire utilise des ouvrages enrichis de péritexte
scolaire pour rendre l’étude de textes théâtraux plus attractifs. J’utiliserai à de
nombreuses reprises le terme de « péritexte », pour cela je me fonde sur l’ouvrage
de Gerard Genette, Seuils, qui définit ce terme de cette manière : « Un élément de
paratexte, si du moins il consiste en un message matérialisé, a nécessairement un
emplacement, que l’on peut situer par rapport à celui du texte lui-même : autour du
texte, dans l’espace du même volume, comme le titre ou la préface, et parfois inséré
dans les interstices du texte, comme les titres de chapitres ou certaines notes ;
j’appellerai péritexte [...] »3.
Ce péritexte est ici utilisé et cela est le cas pour de nombreux drames romantiques,
et Lucrèce Borgia ne fait pas exception. La lecture d’une pièce de théâtre se fait donc
ici dans une optique particulière, celle d’utiliser des ressources extérieures pour
comprendre et mieux appréhender le texte théâtral brut, dans le but de restituer des
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Genette, G. (2002). Seuils (Neuaufl.). Seuil.