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Histoire-Géo-Géopolitique
M. DURAND
Lycée du Parc – ECS – 921* – 2021/2022
L’autre grande puissance émergente
L’Inde
Introduction :
L’Inde soulève des images contradictoires. On la connaît pour ses foules misérables (Forum social à Bombay en 2004,
mondialisation subie par beaucoup, insalubrité, bidonvilles) et sa richesse extrême (somptueux palais, temps du
Rajasthan, entrée dans la mondialisation par le haut, entre usines high-techs, “bureau du m onde” et ingénieurs) dont
ne bénéficient que peu. L’Inde a un double visage, entre tradition et m odernité . Quelles logiques socio-
économiques et spatiales produit cette Inde aux deux visages ? L’Inde est prise dans le piège des revenus intermédiaires.
Le discours sur l’Inde a évolué. Il y a dix ans, l’euphorie dominait : le parallèle avec la Chine (taux de croissance de
7%/an sur les 2000’s, potentiel de main-d’œuvre) était prometteur, surtout que le pays a d’autres avantages : “la plus
grande dém ocratie du m onde ” se distinguait par son cadre juridique, son économie de marché et son alliance avec
l’Occident. On l’annonçait comme la troisième économie du monde d’ici 2020 en PIB par parité de pouvoir d’achat (elle
l’est effectivement en 2015, loin derrière États-Unis et Chine mais bien devant le Japon).
Mais l’Inde est aujourd'hui très fragilisée. Son taux de
croissance, divisé par deux, a mis à jour les faiblesses et limites
du système indien : corruption, bureaucratie, développement
économique inégalitaire et social faible, inégalités en hausse.
Ainsi, le nombre de pauvres a baissé en Inde de seulement 19%
entre 1990 et 2005 (contre 38% dans le monde) quand la part
des revenus détenus par les 10% les plus riches a atteint 30% en
2011 (BM).
Des franges entières de la population sont marginalisées (14% de
D alits). Ils exercent les métiers les plus impurs comme le
boucher ou la sage-femme qui sont en contact direct avec le sang.
On y retrouve aussi dans cette catégorie les mendiants,
éboueurs, égoutiers, etc. Les Intouchables sont exclus de la
société, ils n'appartiennent carrément à aucune caste, même pas
à la plus basse. Ce sont les parias. Et ils souffrent
quotidiennement de discriminations et d'humiliation.
Le creusement des écarts socio-économiques et géographiques
constitue une bombe à retardement, surtout dans la ceinture
tribale au cœur de cette zone déprimée. Des populations tribales
sont abandonnées par l’État à des compagnies minières
désireuses de les déloger de leurs forêts ancestrales pour exploiter
un sous-sol riche en minerai.
, I. D es Indes à l’Inde : “l’U nion dans la diversité.”
A . U ne très ancienne civilisation.
1. “La dernière grande civilisation religieuse ” (M alraux).
L’hindouisme est le fondement de la force de la civilisation indienne. L’Inde a longtemps été morcelée. Elle était la cible
de rivalités entre divers principautés (Arynes, Afghans, Mongols, puis Européens). Mais pratiqué par 80% des Indiens,
l’hindouisme, religion polythéiste élaborée à partir des Veda, a servi de “système socio-économique” (P. Amado) en
reliant nature et société par des croyances et des rites. Elle a hiérarchisé la société selon des varnas que Louis D um ont
distinguait en 1966 : les Brahmanes (religieux), les Kshatriyas (guerriers), les Vaishyas (surtout des marchands), les
Shudras (gens de peu ou serviteurs), et les Intouchables (Dalits) qui sont laissés au-dehors. Si l’Inde a affirmé leur non-
existence juridique, elle a lutté et lutte (quotas, etc.) contre leur existence sociale de fait.
2. U ne civilisation agraire.
L’Inde dans son ensemble est un pays de forte densité rurale : plus de la moitié des actifs tirent encore leur subsistance
du travail de la terre. L’environnement est favorable à l’agriculture : plaines et vallées des grands fleuves, bassin du
Gange, frange littorale orientale (fleuves du plateau du Deccan), moussons qui ont fondé la réalité économique de l’Inde
en déterminant l’abondance et la répartition des récoltes. C’est donc une civilisation fortement dépendante de aléas
climatiques. L’eau est un enjeu crucial, d’autant qu’elle est dépendante du bon vouloir de la puissance chinoise qui
contrôle les sources qui principaux fleuves qui parcourent l’Inde depuis les plateaux de l’Himalaya. Notamment, la mise
en place de retenues d’eau sur le cours du Brahmapoutre est problématique puisque cela perturbe le débit que les Indiens
perçoivent en aval, et qui est essentiel pour l’agriculture de la région de l’Assam, qui fait vivre 70% de la population.
B . L’em preinte anglaise.
1. Le B ritish R aj, le « Joyau de la C ouronne »
La Grande-Bretagne s’impose au XIXème. Les Européens profitent des divisions de l’Empire moghol pour s’installer en
Inde aux XVI-XVIIème et développer les exportations. Après les guerres napoléoniennes, seuls 5 comptoirs (dont
Pondichéry et Chandernagor) sont laissés à la France.
La Grande Bretagne y est présente depuis longtemps commercialement et politiquement (La C om pagnie des Indes
depuis 1753). Mais elle ne va y pénétrer totalement qu’en 1857 en mettant fin la révolte Cipayes qui sert de prétexte de
l’ambition britannique : donne accès aux princes, rois et maharadjas de l’intérieur du territoire.
En 1858, la C om pagnie des Indes est supprimée, les Indes sont directement attachées à la Couronne. On soumet les
pouvoirs politiques indiens, les rois locaux font allégeance à la couronne et la R eine V ictoria devient Impératrice des
Indes en 1876. On installe une bureaucratie qui recrute sur concours des administrateurs indiens et une armée indienne.
En 1914, 115 000 Anglais sont présents en Inde pour encadrer des millions de fonctionnaires indiens (300 millions
d’habitants, soit 1/6 de la population mondiale).
Le contrôle politique va permettre la mise en exploitation de la zone : 65 000 km de voies ferrées sont construits, des
plantations, des cultures commerciales comme le thé, le coton, les épices, le bois précieux, l’or. En 1885, c’est une
colonie développée. Mise en place d’industrie dans les grands centres et dans les grands ports. Cas atypique : les
productions textiles indiennes, qui sont exportées vers la métropole, viennent concurrencer les productions textiles
britanniques.
Mais il y a des conséquences néfastes du colonialisme : des dégâts économiques et sociologiques avec un artisanat indien
laminé et on a imposé des plantations qui bouleversent les productions vivrières : disettes.
, 2. Sa contestation.
Le sentiment national s’éveille au XIXème et s’étend au XXème. Le Parti du Congrès, qui demande des réformes limitées,
une revalorisation de son statut de dominion blanc par les Britanniques, voit son audience augmenter après la Première
Guerre mondiale avec l’action de G andhi ; il se radicalise, et finit par refuser tout compromis avec l’occupant avec le
mouvement Quit India en 1942, alors que la Grande-Bretagne durcit ses positions.
En juillet 1942, le Parti du Congrès national indien rédigea une ébauche de résolution, exigeant l'indépendance complète
de l'Inde par rapport au Royaume-Uni. Le document proposait que, si les Britanniques n'accédaient pas à ces exigences,
une campagne de désobéissance civile massive soit lancée. Gandhi invita les Indiens à mener une désobéissance civile
non-violente, à agir comme s'ils appartenaient à une nation indépendante et ne plus suivre les ordres des Britanniques.
Des milliers de personnes, partout dans le pays, répondirent à cet appel. Les Britanniques réagirent le jour suivant, par
les emprisonnements de G andhi, et de N ehru, ainsi que d'autres responsables du Parti du Congrès, parti qui fut
interdit.
Cependant, l’accord d’indépendance avec la métropole ne découlera pas seulement de ces mouvements de contestations
pacifiques : la guerre civile entre deux communautés religieuses poussera l’Angleterre à la création de deux États
indépendants pour régler les différends. Aussi, la famine au Bengale en 1943 et le manque de moyen des Britanniques
pour défendre leurs ambitions impériales amènent l’élaboration d’un accord pour l’indépendance.
Mais l’indépendance est compliquée. Le Congrès, qui veut maintenir l’Inde unie, s’oppose à la Ligue musulmane qui veut
un État séparé. La partition ne se fait pas sans des massacres et un transfert massif de populations (Sikhs et Hindous
fuyant le Pendjab, Musulmans quittant l’Inde). Ce conflit originel est à la base des relations Inde-Pakistan et s’aggrave
avec le problème du Cachemire.
3. Quel bilan ?
La colonisation anglaise a “fabriqué” la nation indienne. C’est la première fois que ses territoires disparates sont unifiés
sous l’autorité de règles uniformisées. L’anglais devient une langue commune (utilisée dans la presse, les universités) —
mais mieux acceptée par les populations tamoules que hindoues. La dém ocratie parlem entaire est un acquis
institutionnel important pour l’Inde. La démocratie existait dans l’Inde précoloniale (religion sans dogmes, coexistence
de communautés diverses) mais la tutelle anglaise modernise la tradition : extension du droit de vote, mise en place d’un
appareil juridique…
Les pratiques sociales ont évolué. La lutte contre les atteintes traditionnelles aux personnes a porté ses fruits (infanticide,
immolation des veuves, esclavage), les actions sanitaires (construction d’hôpitaux) et éducatives (écoles d’ingénieurs,
universités) aussi, même si les premières ont provoqué l’explosion démographique et les deuxièmes, en laissant
l’enseignement primaire à l’initiative privée, un taux d’illettrisme important (90% en 1947).
Le bilan économique est contrasté. Les effets négatifs de la colonisation sont certains (l’artisanat local a été ruiné par
l’ouverture aux produits anglais, par exemple les étoffes de Manchester qui remplacent le tissage indien). Les
aménagements de ports, du réseau ferroviaire, l’amélioration de l’irrigation sont des points positifs, comme l’émergence
d’une classe d’entrepreneurs en ville, mais la domination de grands propriétaires fonciers (pour faciliter la collecte
d’impôts) a fait augmenter le nombre de paysans sans terres.
C . L’Inde indépendante ou la gestion délicate de la diversité.
1. Im m ensité et diversité géographique.
La m osaïque du triangle indien se caractérise à la fois par son immensité et par la diversité qui se structure autour
de la combinaison de trois trames fondamentales – physique, historique et économique – conjuguant leurs effets La
gestion d’un État-continent (sous-continent) est délicate. Le territoire indien est caractérisé par son immensité et sa
diversité (3,2M de km2, soit l’UE-15). 4 grands ensembles forment deux systèmes : la chaîne himalayenne et la plaine
indo-gangétique (1300 hab./km2), plaine alluviale qui compense sa sécheresse par la mobilisation des eaux himalayennes,