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Histoire-Géo-Géopolitique
M. DURAND
Lycée du Parc – ECS – 921* – 2021/2022
Espace en développement :
Géopolitique de l’Asie
Introduction : l'A sie existe-t-elle ?
L’A sie n’est éviden te que pour les Occidentaux , une réalité perçue plus que tangible. De nombreux termes et
concepts sont des inventions occidentales (XIX-XXème siècle : « Asie Orientale », « Extrême-Orient », « Asie des
moussons » de Jules Sion). Asie vient bien d’Asia, le terme grec qui désigne la femme de Prométhée. Elle a été l’objet
de désirs et de fantasmes propres à l’Occident, comme en témoigne le mouvement de l’Orientalisme ; malgré les disparités,
elle apparaît comme un monde en soi, impénétrable et fascinant.
La diversité règne, il n’y a pas de sentiment d’appartenance à une civilisation commune, encore moins l’idée d’une
« com m unauté de destin » comme c’est le cas en Afrique. Des spécificités linguistiques très fines, très locales aussi
existent, avec des spécificités religieuses. Continent très vaste (48M de km² au plus large), c’est aussi le plus peuplé avec
4 m illiards d'habitants dans 51 pays. Les sous-espaces continentaux sont très différents, entre l'Asie centrale,
l’« empire des steppes » (R ené G rousset, 1939) de la route de la soie, et l’Asie Pacifique par exemple.
⎯ L’asiatism e
Le courant de l’asiatisme (discipline, épargne et travail, respect des anciens et primauté du groupe) a cependant affirmé
récemment l’unité asiatique. C’est un discours porteur d'une idéologie, fondé sur les caractères communs des Asiatiques
pour disqualifier le seul modèle occidental. Il s’est développé avec les indépendances et le développement économique et
affirme des valeurs proprement asiatiques. Si l’Asie est « construite dans les discours », n’est-ce pas pour mieux peser
sur leur environnement régional et utiliser un tremplin vers la puissance mondiale ? L’Asie existe-t-elle réellement, au-
delà du simple label géographique, sur les plans culturels et politiques ?
Le courant se base sur le fort anti-occidentalisme japonais des années 1930. L’argument asiatiste a été employé pour
légitimer la colonisation japonaise sur le littoral asiatique. Dès lors, la propagande japonaise s'orienta vers des slogans
tels que « l'A sie aux A siatiques » et chercha à mettre en exergue l'influence néfaste du colonialisme occidental en
présentant les occupants japonais comme des libérateurs. En 1940, le Japon annonce la création d’une « sphère de co-
prospérité » de la grande Asie orientale avec l’idée que le Japon doit créer une région prospère libérée de toute domination
coloniale et occidentale.
Pourquoi une définition identitaire qui soit à l’opposé de l’Occident ?
C’est en raison d’une réalité culturelle et civilisationnelle forte : les pays asiatiques colonisés n’ont pas de complexe
d’infériorité par rapport à la civilisation européenne. Ils ont une histoire, et encore le souvenir d’une réalité politique
prestigieuse : ils ont connu de grands ensembles politiques, ce qui n’est pas le cas dans l’espace africain. De plus, la
précocité de leur volonté d’indépendance s’explique par le fait que l’Asie a été en relation avec l’Europe très tôt : une
intrusion brutale et non-consentie des Occidentaux sur leurs territoires aura lieu en 1840 en Chine avec la Première
Guerre de l’Opium et en 1853 au Japon.
,Le mouvement asiatique va ensuite tenter de s’affirmer à travers le mouvement du Tiers-Monde et la conférence de
Bandung en 1955 qui acte sa naissance. Les pays, pour l’essentiel asiatiques, se réunissent à l’initiative de Soekarno (le
dirigeant indonésien). L’émergence du Tiers-Monde signe l’émergence de la dualité mondiale entre Nord et Sud. D’autant
plus que le Nord finit par être un monde occidental élargi : l’URSS finit par ne pas vouloir répondre aux revendications
du Sud. Va dès lors s’établir un puissant discours tiers-mondiste à l’encontre des puissances occidentales du Nord, qui
va vouloir favoriser le Tiers-Monde et le rôle de la Chine (dans son modèle qui lui est propre et qu’elle exporte) plutôt
à l’Occident sur tous les plans.
Citation
« Ce qui s’est passé de mémorable à Bandung, c’est qu’un milliard et demi d’hommes se sont réunis pour
proclamer que l’Europe n’avait plus vocation à gouverner le monde ».
A im é C ésaire
⎯ L'A sie, centre du m onde et au centre de m ultiples interrogations.
Sa prééminence démographique vient d’abord, l’économie ensuite. L’A sie représente en effet 60% de la population
m ondiale, alors m êm e que l'Europe décline . Economiquement, elle compte pour 27% du PIB mondial en 2011,
34% du PIB PPA, et génère en 2010 47% des nouvelles richesses dans le monde. L'économie asiatique a augmenté de
150% contre 60% pour les USA et 51% pour l'UE entre 2000 et 2010. Elle peut devenir d’ici 2025 le centre de gravité de
l’économie mondiale. Si ce différentiel continue, les économies asiatiques pourraient alors peser le triple des économies
européennes. Son solde commercial est de +500M$ en 2010, et a 6000M$ de réserves de change. La Chine, qui dépense
autant que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni réunis en R&D, représente 60% de ses réserves.
I. Les m ondes d'A sie : un m onde m arqué par la m ultipolarité et la
diversité.
A . L’im m ensité de l’A sie.
L’immensité de l’Asie est évidente. Sa superficie générale est importante, avec de grands États : La Chine est le 4ème
pays le plus étendu avec 9 millions de km² (soit 2 fois l’UE), et l’Inde compte à elle seule 3,3 millions de km².
On peut distinguer l'Asie centrale (des steppes), l'Asie des plaines et des deltas, l'Asie des archipels et des îles. Même si
elle se superpose partiellement aux autres (3M de km² de steppes et de plateaux à plus de 3000m d'altitude au Tibet),
l’Asie des montagnes aussi doit être remarquée, puisque l’Asie s'organise comme un éventail autour des montagnes
centrales très élevées au cœur de ce monde (Everest (8818m), K2). Le massif himalayen, souvent évoqué comme
« château d’eau du m onde » est considéré comme la troisième ressource d’eau douce au monde (après les glaciers des
deux pôles) : il arrose 47 % de la population mondiale. De grands fleuves (l’Indus, long de 3 000 km, le Brahmapoutre
de 2 800 km, et le fleuve chinois Yangtsé, long de 6 380 km, le troisième plus long du monde) y prennent naissance.
L’A sie des m ontagnes représente un enjeu éminemment géopolitique. Si ces montagnes sont peu peuplées
(moins de 50 habitants par km² dans l’Himalaya chinois), elles servent de refuge aux minorités, qui se concentrent
en partie dans le triangle d’or Laos-Myanmar-Thaïlande, en faisant un espace de passage important. La question
tibétaine traverse aussi cet espace, avec un Tibet « colonisé » par la RPC en 1956, et que ces derniers ne sont
pas près de vouloir laisser : le Tibet est une zone stratégique sur l’Inde rivale, sur la question des gisements
métallurgiques, mais aussi sur l’approvisionnement en eau. Cette volonté de maîtrise de ses approvisionnements
aurait été un facteur clé dans le déclenchement de l’offensive de la RPC. Les travaux d’irrigation, nécessaires
pour le développement de l’agriculture dont le continent est le maître mondial, demandent une discipline stricte,
l’Asie est un terreau favorable pour les pouvoirs forts, ce qui pousse K arl W ittfogel à parler de « despotisme
oriental » (dans l’ouvrage du même nom) se basant sur des « sociétés hydrauliques ».
, L’A sie des grandes plaines et des deltas est le cœur politique et administratif de l'ensemble de la région.
Les sols sont riches grâce à l’apport des sédiments par les fleuves, ce qui explique l'occupation humaine et
agricole de ces espaces. Ces espaces sont les plus occupés mais aussi les plus dangereux car les fleuves provoquent
des levées alluviales et coulent très au-dessus des plaines qu'ils alimentent, causant des inondations
catastrophiques.
L’A sie d es littoraux, des archipels et d es îles est aujourd'hui valorisée. L’Asie a une forte réalité maritime
et insulaire : c’est un « espace sous le signe de la mer » selon Fernand B raudel : 18 pays sur 22 ont au moins
une façade maritime. Les frontières côtières (166 000 km) sont trois fois plus longues que les terrestres ; seuls le
Népal, l’Afghanistan et le Laos sont enclavés. Ces littoraux ont été des interfaces, avec l’extérieur (le littoral
japonais fait 6000 km de plus que l’américain) et l’intérieur, dans des « méditerranées asiatiques ». Pourtant,
l’exploitation du potentiel et la valorisation des littoraux asiatiques, et la m aritim isation des États s’est
longtem ps heurtée à la ferm eture de ceux -ci - même le Japon, pourtant un archipel, qui s’ouvre aux
Occidentaux après de longs siècles de politique du Sakoku (« pays fermé » en japonais) sous la pression des États-
Unis, qui envoient la flotte des « navires noirs » dans la baie d’Edo en 1854. Les pays asiatiques se sont, dans
leur histoire, tournés vers l'intérieur plutôt que vers le littoral. En Chine, la partie littorale, appelée la « Chine
des compradores » selon la sinologue M arie-C laire B ergère, subit la fermeture mandarinale.
Le concept « m éditerranée asiatique » (François G ipouloux) correspond au basculement du centre de
gravité chinois vers les littoraux montre la création d’une nouvelle Méditerranée, et dessine un paysage où le
contrôle des flux prime sur le contrôle des territoires
Les disparités de peuplement entre ces zones sont importantes. Quand les steppes de Mongolie et le désert de Gobie
concentrent moins de 2 habitants par km², l’Asie des littoraux focalise l’essentiel des grandes agglomérations : Shanghai,
Osaka-Kobe, Tokyo, Bangkok, Kuala Lumpur, Jakarta, Singapour, Hong Kong, etc.
L’Asie est aussi une terre de risques. Le continent abrite 75% des victimes mondiales d'inondations (350 000 morts en
1954 avec les inondations du Yangtsé) : des fleuves qui s’écoulent très au-dessus de leurs plaines à cause du limon qui
s’accumule. L'Asie représente les 3/4 des catastrophes naturelles de l'espace mondial, 45% des cyclones mondiaux, des
inondations et des tsunamis, 90% des populations menacées. Les risques sont aussi sismiques au Japon, avec des
retombées occasionnellement majeures (Fukushima). C’est un milieu pathogène, propice au développement de maladies
comme le paludisme, la lèpre, la tuberculose. Il peut ne pas apparaître comme favorable mais les terres volcaniques sont
riches, et les pluies des moussons sont porteuses de vie sur cet espace. On s'y est installé pour vivre de manière ancienne.
B . U ne A sie fondam entalem ent plurielle.
1. D iversité de religions.
L’identité religieuse sem ble connaître un réveil. C’est sur ce plan que l’Asie est la plus divisée. Au fil des siècles,
deux influences majeures se sont fait sentir, celles de l'Inde et de la Chine, avec toujours une péninsule indochinoise aux
carrefours de ces civilisations. La frontière entre Cambodge et Vietnam marque cette séparation. Les États n’ont pas
d’homogénéité religieuse. La présence du communisme a empêché la pratique religieuse, qui a en plus vu le maintien de
pratiques sociales enracinées en Chine par exemple.
▪ L’hindouism e est un marqueur fort du sous-continent indien (83% de la population indienne). Il remonte au
Ve voire au XVe, et résulte du syncrétisme de nombreuses religions populaires, d’où la multiplicité des divinités
et des sectes. Il est structuré en castes fonctionnelles, les Brahmanes le régissant.
▪ Le bouddhism e est composé de plusieurs branches qui marquent les espaces où ils s’implantent. Il date du VIe
BC, quand Bouddha est repoussé d’Inde et se retire en ermite pour chercher la voie de la sagesse et atteindre le
nirvana. Principalement, le bouddhism e du petit véhicule est marqué par l’organisation politique et sociale
de type indien, avec une conception très individualiste, on assume son karma ; le bouddhism e du grand
véhicule s’impose dans le monde sinisé, encourageant l’entraide, on doit aider l’autre à surpasser son karma
pour atteindre le nirvana. Cette division de l’espace indochinois marque la frontière entre les zones d’influence.