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Histoire-Géo-Géopolitique
M. DURAND
Lycée du Parc – ECS – 921* – 2021/2022
Espace en quête de stabilité et de développement :
Le Moyen-Orient
Introduction : La question de la difficile délim itation d’une région.
⎯ Le MENA (Middle East and North Africa) : un ensemble artificiel, difficile à définir, délimiter, nommer.
S’agissant des pays de l’Afrique du Nord, le désert du Sahara agit en césure géographique qui poussent ces pays à
regarder davantage vers l’Europe que vers l’Afrique subsaharienne. Finalement, cette orientation se retrouve aussi dans
les mœurs, plus occidentalisés que partout ailleurs en Afrique, notamment parce que le Nord de l’Afrique a été le siège
de colonisation à forte assimilation culturelle. Ainsi, le taux de fécondité y est le même que les pays européens, tandis
qu’il reste beaucoup plus élevé au sein de l’Afrique subsaharienne.
Ce monde a une unité certaine. Des références communes sont partagées (Islam, agencement des villes, pratiques
commerciales, gestion des banques, diffusion de l’arabe) par un m onde sym boliquem ent tourné vers la M ecque .
Des problématiques sont communes, celles liées à l’abondance de gaz et de pétrole (transformer la « manne pétrolière »,
près de 60% des réserves m ondiales de pétrole, en levier de développement, tensions géopolitiques).
Cependant, son homogénéité reste relative, et à mesure que l’on resserre l’échelle d’observation, l’Orient redevient
compliqué. « J'allais vers l'Orient com pliqué avec des idées sim ples », C harles D e G aulle, Mémoires de
Guerres.
Une région peu aisée à définir : le Maghreb, « l’île du Couchant », qui regroupe le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, mais le
« Grand Maghreb » peut contenir la Libye et la Mauritanie. Il s’agit de la partie occidentale du monde arabe. Le Maghreb
se différencie du Machrek, à l’Est, « l'île du Levant » couvrant dans sa conception la plus étroite l'Irak, la Syrie, le
Liban, la Jordanie, Israël et la Palestine, mais s’élargissant à la péninsule arabique et l'Egypte.
D'autres concepts géographiques existent. Le Proche-Orient est un terme français correspond de l'aire allant de l'Egypte
à l'Anatolie qui inclue le Levant ou Croissant fertile qui désigne l'Irak, la Syrie, le Liban et la Palestine. Le Moyen-
Orient est ensuite confondu avec les pays du Golfe persique. Il désigne l'espace séparant la Méditerranée orientale de
,l'empire des Indes. Pour les Américains, Middle-East s’étend du Maroc au Pakistan en passant par la Mauritanie et le
Soudan. Le M iddle-East est une notion fondam entalem ent géopolitique dan s cette conception am éricaine ,
qui est pour eux la région mère de l’islam et le théâtre de l’islamisme dans l’arc des crises moyen-oriental.
La région est caractérisée par une nature paradoxale, à la fois généreuse et ing rate : aridité et désert côtoient
des ressources inégalem ent réparties, source de puissance et de ten sions : alors que l’eau est rare, le pétrole y
est abondant (dans une certaine mesure néanmoins).
Son unité d’apparence est aussi humaine. Même si elle est le lieu de naissance des trois grandes religions monothéistes,
elle est marquée par la domination de l’islam et sa grande diversité, et l’hégémonie de l’arabe malgré une grande diversité
ethnolinguistique.
La zone est devenue un “surespace” géo politique (A lexandre D efay), qui doit être débarrassé des idées reçues, des
fantasmes pour dégager une réalité plus prosaïque et le considérer en lui-même dans toute sa complexité humaine et
sociale. Les printemps arabes de 2011 ont révélé aux Occidentaux que les sociétés arabes avaient des aspirations
similaires.
Pour Edward Saïd dans son ouvrage L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, « l’Orient » est une création de
l’Occident, son double, son contraire, l’incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois, la
chair d’un corps dont il ne voudrait être que l’esprit. Il y analyse le système de représentations presque identique dans
lequel les puissances occidentales – la France, l’Angleterre, les Etats-Unis – ont, au fil des siècles, enfermé l’Orient.
L’enjeu est de taille : « L’Orient n’est pas seulement le voisin immédiat de l’Europe, il est aussi la région où l’Europe
a créé les plus vastes, les plus riches et les plus anciennes de ses colonies, la source de ses civilisations et de ses langues,
il est son rival culturel et lui fournit l’une des images de l’Autre qui s’impriment le plus profondément en elle. De plus,
l’Orient a perm is de définir l’Europe (ou l’Occident) par contraste : son idée, son image, sa personnalité,
son expérience. La culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle
prenait comme une forme d’elle-même inférieure et refoulée. »
L'orientalisme n'est pas l'Orient mais la façon dont l'Occidental voit l'Orient en particulier avec la peinture orientaliste
au XIXème siècle. Exemple de Pierre Lotti qui montre le temps de l'orientalisme. Un monde qui continue à être
fantasmé voire craint. On ignore ce monde et on fait de l'habitant de ce monde-là un autre. Un autre par la religion,
une religion qui a pu se radicaliser et se poser en adversaire de l'Occident. C'est cela peut-être qu'a secoué le mouvement
des Printemps Arabes. C’était un monde mis à distance, éloigné, mais qui se retrouve agissant pour les mêmes désirs,
les mêmes volontés de développement.
I. Etats et territoires, cultures et sociétés : un orient sim ple m ais
pluriel.
A . U n cadre géographique contrasté et contraignant, très m arqué par l'aridité
⎯ U ne grande variété topographique : une unité de contrainte ?
Le Moyen-Orient n'a pas d'unité physique à proprement parler. Sa cohérence résulte du positionnement de sa masse
géographique entre l’Orient et l’Occident, aux milieux très différents : déserts, plateaux, montagnes (semi-)arides, hautes
chaînes, profonds fossés d’effondrement (la m er M orte, qui est 400 mètres en dessous du niveau de la mer et qui, de ce
fait, pourrait être sauvée en creusant simplement un canal la reliant à la mer Méditerranée en profitant de ce dénivelé
en passant par la fosse de la vallée du Jourdain : le canal serait également utilisé pour produire de l'énergie
hydroélectrique grâce à la différence de niveau, voire en exploitant l'énergie liée à la différence de salinité), plaines
fertiles, côtes, plaines fluviales (vallée du Nil et plaine mésopotamienne signifiant littéralement « l’espace au milieu des
fleuves » drainée par le Tigre et l’Euphrate), etc. Pour l'espace nord-africain, réalité des plaines côtières limitées avec
des zones montagneuses comme pour l'Atlas en Algérie, le Rif et l'Atlas au Maroc.
,Des risques tectoniques existent, certaines grandes villes sont très exposées (comme Téhéran ou Istanbul). Toutes les
formes de reliefs y sont juxtaposées mais sans constituer pour autant des obstacles. C ette topographie diversifiée
offre des voies naturelles de circulation nord -sud reliant A frique à Eurasie et est-ouest m ettant en
com m unication les abris côtiers m éditerranéens avec les plaines m enant à l’A sie . Le croisement de ces axes
ajoute à l’importance stratégique de l’espace proche-oriental.
⎯ Le Proche-Orient n'a pas non plus d'unité clim atique
La semi-aridité (ensoleillement et sécheresse en été) est le climat dominant la région (moins de 100 mm d’eau par an en
majeure partie). 95% de l’Egypte et 98% de l’Arabie Saoudite sont marqués par l’aridité : la disponibilité en eau douce
est de 1350 m3 par an et par habitant (sachant que le seuil en dessous duquel le stress hydrique est déclaré est à 1700
m3). Cependant, il n’est pas seul : le climat méditerranéen du littoral fait place à l’est aux climats torrides. De même,
les précipitations varient dans les villes (150 mm à Pétra, 900 mm à Beyrouth).
Des fleuves traversent cependant ces espaces arides, des fleuves de nature exogène, qui prennent leur naissance dans les
parties les plus humides de la région, au cœur des plateaux montagneux. Ces fleuves, comme le Nil, l’Euphrate ou le
Tigre, donne aux habitants de leurs rives l’eau que le ciel leur refuse.
L’aridité conditionne souvent la mise en valeur de ces espaces (à l’exception des littoraux et de montagnes) : l’agriculture
dépend fortement de l’irrigation alors que la pénurie d’eau m enace et pèse sur des m ilieux déjà fragilisés , avec
un risque accru de désertification.
B . U ne région à la profondeur historique rem arquable.
1. D es origines au tem ps de l’apogée.
⎯ U n foyer précoce d’invention et de réflexion.
La région a une histoire remplie de conflits. Il s’agit d’un des foyers originels de la “révolution néolithique” avec une mise
en œuvre de manière duale de l'agriculture et de l'élevage par des paysans sédentaires dans des plaines, le long des
fleuves avec de l'élevage extensif par des populations nomades entre les hauteurs arrosées et les fonds de vallées humides.
C’est donc un espace disputé entre sédentaires et nomades de manière ancestrale. La région voit ensuite apparaître des
cités-Etats qui donnent naissance à des royaumes ou empires (Egypte, Assyrie, Babylone) se disputant la suprématie
régionale. C’est aussi un grand lieu d’invention et de réflexion (roue et écriture en Mésopotamie vers -3500, alphabet en
Phénicie vers -1100, droit vers -1760, élaboration du monothéisme).
⎯ R eligions et em pires.
Les éléments fondateurs de l’identité juive sont anciens. Les Hébreux sortent d’Egypte vers −1300 , ce qui mène à la
conquête de la Terre promise (Bible) ; Jérusalem s’impose comme capitale et centre culturel d’Israël sous les règnes de
David (−1000 à −970) et Salomon (−970 à −928). Nabuchodonosor prend Jérusalem et fait déporter les Juifs à
Babylone en −588.
Le Proche-Orient change de statut politique avec la prise de Babylone par Cyrus le Grand en 539 avant Jésus-Christ,
devenant un enjeu pour les empires périphériques (les Perses, puis Alexandre le Grand, les Grecs, les Romains). Les
Romains ouvrent au Proche-Orient de nouveaux horizons : augmentation des productions, extension des cultures,
développement du commerce, embellissement des villes, etc.
Le christianisme naît dans ce contexte. Il connaît une diffusion limitée après que la religion ait été autorisée par
Constantin en 313 (édit de Milan) et instituée en religion d’Etat par Théodose le Grand en 380. La résistance des Juifs
à la christianisation massive a pour conséquence une incompréhension bimillénaire entre les deux. Rome et Byzance
prennent du poids, cela générant des conflits d’autorité ou théologiques avec les Eglises du Proche-Orient.
, Les conquêtes et les empires arabes ensuite. On va assister à une montée en puissance des arabes avec des guerriers qui
commencent à remporter des batailles contre les byzantins à partir du VIIème siècle avec la victoire sur le Yarmouk en
636 qui ouvre les portes du Proche-Orient aux Arabes qui vont achever cette conquête en 646.
Tant que le prophète Mahomet est en vie, l’islam ne forme qu’un seul et même courant. En 632, à sa mort, des divergences
de vue apparaissent. Les chiites et les sunnites ne lui reconnaissent pas le même successeur. Ceux qui choisissent A li,
gendre du prophète, deviendront les chiites, tandis que ceux, majoritaires, qui préfèrent suivre Abou Bakr, compagnon
de M ahom et, deviendront les sunnites. Ali est assassiné en 661 à cause de la contestation de son califat : les Omeyyades
y succèdent et établissent Damas pour capitale, m enant le Proche-Orient à devenir arabophone . Ensuite, la
dynastie est renversée par A bbas, qui fonde Bagdad en 765 et procède à une islam isation du Proche Orient : il
devient dès lors musulman.
Les chrétiens ne disparaissent pas totalement et se maintiennent dans des zones refuges (montagnes libanaises). Leur
statut de dhimmi (accordé aux “peuples du Livre”) leur permet de pratiquer leur culte mais les contraint à des
contreparties qui révèlent leur infériorité. Les Juifs résistent mieux à l’islamisation et collaborent avec la communauté
arabe. Cet “âge d’or” jette les bases d’une brillante et durable culture judéo-arabe. Cela est toutefois ambigu puisque le
Juif reste honni pour n’avoir pas voulu entendre le message du Prophète.
Enfin, les croisades ont une portée considérable. Des dizaines de milliers d’Européens vont combattre ou s’installer
pendant deux siècles, d’août 1096 à août 1291, au Proche-Orient, passé sous contrôle turc à la fin du XIème siècle. Elles
provoquent des échanges culturels, la stimulation de la curiosité intellectuelle des Occidentaux, des emprunts techniques
et scientifiques, et l’implémentation d’images contradictoires (attirance, richesse, mœurs singulières, ardeur guerrière,
etc.). Le Proche-Orient se refuse au contact, la vision des croisades étant celle d’un viol originel de l’Orient
par l’Occident.
2. L’époque contem poraine : une histoire com m une entre dépendances, dom ination
et tentatives d’ém ancipation.
⎯ D e la dom ination ottom ane à « l’hom m e m alade de la M éditerranée ».
Ces Ottomans ont manifesté leur supériorité car ils abattent l'empire byzantin, avec la prise de Constantinople en 1453.
Cette domination est manifestée par le fait que le sultan ottoman va s'accaparer le titre de calife, de chef politique et
religieux sur cet espace. Peu à peu, l’Empire Ottoman se montre être une puissance montante auxquels les Empires
européens doivent faire face, pour chasser l’occupant ottoman de leur territoire, lui qui atteint Vienne à l’apogée de son
existence. Avec Constantinople comme capitale, et le contrôle des terres autour du bassin méditerranéen, l'Empire
ottoman fut au centre des interactions entre les mondes oriental et occidental pendant six siècles. Sa montée en puissance
compromet les routes commerciales entre les puissances européennes et les Indes, et finiront par obliger les royaumes de
la péninsule ibérique à partir en exploration d’autres routes maritimes pour le commerce des épices (Magellan, Colomb).