Léon Tolstoï (1829- 1910)
A Qui est Tolstoï ?
De nationalité russe, Tolstoï est beaucoup plus connu comme écrivain ou
homme de lettre que pour son œuvre pédagogique. Pourtant il a laissé derrière
lui une œuvre pédagogique non moins importante dont les idées structurent
encore de nos jours une certaine orientation dans la pratique pédagogique.
B Contexte d’émergence de la pensée pédagogique de Tolstoï
Tolstoï a vécu en Russie au moment où le Tsar Nicolas 1er règne en maître.
L’époque est terrible : tyrannie, déportations etc… 10% possèdent la totalité
des terres, 10% de la population est illettrée, le servage est généralisé. Tolstoï
reste bouleversé par tout ce qui se passe autour de lui. Face à ceux qui
prétendent détenir la vérité (les nobles), une pensée fondamentale va
l’habiter : libérer les êtres qui l’entourent de l’esclavage économique et
mental. En 1856, une expérience va le rendre perplexe et va le pousser à aller
au bout de cette cause car il ne cessera de se poser cette question dans son
journal : « Pourquoi mais pourquoi ne veulent-ils pas de liberté ? ». En effet,
écrit Philippe Meirieu, « ému par le sort des serfs de sa propriété, Tolstoï décide
de leur donner ses propres terres. Il les réunit et leur explique que les terres
sont désormais à eux, qu’ils vont travailler pour eux-mêmes, qu’ils deviennent
propriétaires du sol sur lequel ils travaillent. A sa grande surprise, les serfs
refusent l’offre qui leur est faite. Ils s’inquiètent, imaginent que Tolstoï veut les
faire travailler sans les payer ». Face à ce refus, il renonce à ce projet. En 1859,
il ouvre une première école à Lasnaïa Poliana, son lieu de naissance dans le but
d’éduquer les gens. Pour mener à bien son projet, il fait une tournée en Europe
pour étudier le système éducatif européen et décide de rechercher l’ombre de
ces personnages à qui il voue une grande admiration : Rousseau. Ainsi, il visite
la Suisse, la France, l’Angleterre et fait le constat suivant : « partout l’éducation
est l’apprentissage de la servitude car tous les élèves répètent les leçons sans
les comprendre ». Dès lors nait son désir de construire une véritable doctrine
pédagogique fondée sur la volonté de mettre en contact directement l’enfant
avec les créations culturelles pour que ce dernier puisse y retrouver le goût
d’apprendre et le courage de se construire lui-même son propre jugement.
C Fonction de l’éducation chez Tolstoï et sa doctrine pédagogique
Tolstoï fait du constat qu’à l’école, on ne trouve pas le savoir enseigné à
l’enfant, l’école est juste le lieu de traduction du savoir, on n’y trouve que le
résidu du savoir mais pas le savoir lui-même. Par conséquent ce résidu de
savoir ne peut pas jouer son rôle d’émanciper l’enfant comme sujet libre et ne
, peut pas non plus aider l’enfant à comprendre le monde. Raison pour laquelle il
est persuadé que c’est ailleurs qu’il faut aller chercher le savoir qui convient
pour stimuler le désir d’apprendre de l’enfant, d’où son intérêt pour les
musées, les laboratoires des savants, les bibliothèques, les théâtres… car
estime-t-il, « c’est dans ces lieux où les Hommes élaborent des connaissances
vivantes et les conservent qu’il convient d’amener les enfants ». En effet c’est
dans ces lieux qu’on découvre les questions qui mobilisent les enfants pour les
mettre en marche vers le savoir, les connaissances et les apprentissages. Il est
important que les enfants entendent et soient en contact avec ce genre de
questions :
- Pourquoi la mer est bleue ?
- Pourquoi la nuit est noire ?
- Comment peut-on aimer et haïr quelqu’un en même temps ?
- Que devient-on après la mort ?
- Qui étions-nous avant de venir à la vie ?
Toutes ces questions existentielles fondent pour lui la culture. Elles doivent par
conséquent être mises à la disposition des enfants car elles sont mobilisatrices
du désir du savoir, du désir de comprendre. Ainsi, initier l’enfant à fréquenter
ces lieux de cultures est pour Tolstoï une façon directe de mettre l’enfant en
contact avec les savoirs. Dans ce contexte, le maître n’a plus la même
fonction : il n’est plus celui qui impose à l’enfant sa vision de la culture mais
celui qui aide l’enfant à se trouver dans le labyrinthe de la culture, à discerner
les enjeux essentiels, à exercer son esprit critique. Autrement dit, le maître est
celui qui aide désormais l’enfant à chercher lui-même la vérité. L’éducation est
donc le moyen qui rend possible chemin faisant le surgissement chez l’enfant
de l’esprit libre, c’est-à-dire un esprit qui se détermine lui-même et donc
apprend à penser par lui–même. C’est pourquoi Tolstoï insiste sur le fait que
l’école doit apprendre à redonner du sens au savoir en réinstallant le savoir
dans l’ordre du désirable tout en favorisant l’émergence d’un esprit critique. Le
savoir doit inciter à la curiosité, doit donner envie d’aller de l’avant. Tolstoï
pense que l’école telle qu’il la visite n’est pas capable de fournir le désirable à
l’enfant. L’étonnement est l’acte de naissance de la philosophie : « Pour se
comporter avec sagesse, l’intelligence seule ne suffit pas » (Dostoïevski).
Parenthèse philosophique :
L’Homme premier vit dans l’angoisse. Le mythe est l’acte de naissance de
la pensée. La religion est le deuxième maillon de la chaîne de la pensée
humaine : l’Homme cherche des liens, des causes. Avec le mythe l’Homme
cherche une explication, puis il déduit une entité supérieure : « si je ne suis pas
le maître d’œuvre, quelqu’un d’autre de supérieur à moi est l’être créateur de