Les contrats spéciaux
Introduction
Article 1105-10 « les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles
générales qui font l'objet du présent sous-titre » C'est le droit commun des contrats. L'alinéa 2 « les
règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux ». C'est
le droit des contrats spéciaux. Ainsi le droit commun des contrats s'applique à tous les contrats quelle
que soit leur qualification.
L'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 a énoncé que la réforme ne s'applique qu’aux
contrats conclus ou renouvelés après le 1 octobre 2016, y compris pour leurs effets légaux et pour les
dispositions d'ordre public. Mais c'est un vœu pieux dès lors que le juge pourra ré interpréter le droit
ancien à la lumière du droit nouveau, pour faire indirectement une application anticipée de la réforme.
Veille : un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux a été élaboré le 26 juin 2017. On
signalera l'introduction de droits et obligations spéciaux tel que l'obligation de délivrance, le droit
personnel de jouissance qui concerne plusieurs contrats spéciaux. Il se situe à mi-chemin entre la théorie
générale des contrats et le droit spécial des contrats. À ce stade, il ne s'agit que d'un projet doctrinal qui
ne peut être utilisé pour la résolution d'un cas pratique en droit positif.
Actualité sur une législation exceptionnelle : une ordonnance du 25 mars 2020 été adoptée en urgence
pour tenter de résoudre les difficultés de la crise sanitaire.
Il y a un report automatique des délais échus pendant une période protégée, située entre le 12 mars
2020 et le 23 juin 2020 inclus. Cette période repart à 0 mais avec un plafond de 2 mois.
Par exemple, si un délai de 5 ans arrivait à échéance le 20 mars 2020 pour assigner un contractant, ce
délai est reporté jusqu’à la fin de la crise sanitaire mais dans la limite de 2 mois. Le délai expirera le 24
août.
S'il s'agit d'un délai de 10 jours pour se rétracter d'une vente immobilière, un nouveau délai de 10 jours
courra à compter de la fin de la période protégée, sans que le plafond ait ici à jouer (le délai expirera le 4
juillet 2020).
Il faut surtout que ce report ne concerne que les délais prescrits par la loi ou le règlement. En revanche,
les délais contractuellement prévus ne sont pas reportés.
Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une
déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d'une obligation dans un délai
déterminé, sont réputées n'avoir pas pris effet, si ce délai a expiré pendant la période. Ces sanctions
ne reprendront leur cours que si le débiteur ne s'est toujours pas exécuté un mois après la fin de la
période protégée.
Ces mesures exceptionnelles ne doivent pas faire oublier l'exception d'inexécution, l'imprévision voire la
force majeure qui ne joue toutefois pas pour les obligations de sommes d'argent.
CA Paris 3 juin 2021 : concernant des loyers commerciaux, les locataires dont les locaux ont été fermés
pendant le confinement ont invoqué la perte partielle de la chose louée de l'article 1722, pour échapper
au paiement des loyers correspondant à la période de fermeture du confinement. La cour n'a pas voulu
que cet article soit invoqué.
,Leçon 1 : La qualification des contrats spéciaux
Section 1 : La nécessité de la qualification
Les contrats spéciaux correspondent aux contrats nommés visés par l'article 1105 du code civil c'est à
dire aux contrats désignés, réglementés par un texte, par opposition aux contrat innommés qui n'ont
fait l'objet d'aucune consécration textuelle. Quelle que soit leur qualification, les contrats sont soumis
aux règles communes de la théorie générale du contrat (vice du consentement, capacité, contenu).
Section 2 : Le processus de qualification
I) L'auteur de la qualification
A) L'intervention du juge
A première vue, le contrat étant le fruit de la volonté des parties, c'est aux parties qu'il appartient de
qualifier leur accord (vente, mandat, dépôt).
2 raisons empêchent de donner un pouvoir exclusif aux parties :
- La qualification déclenche l'application des règles prévues par la loi. Il est donc impossible de
conférer aux volontés individuelles un pouvoir absolu en la matière, sous peine de leur permettre de
contourner aisément les règles impératives applicables à un type de contrat (Le bailleur peut être tenté
de proposer à son partenaire la qualification de convention d’hôtellerie pour éviter la législation
protectrice du locataire en matière de baux d'habitation)
- Il est possible que les parties n'aient pas clairement ou pas du tout exprimé leur volonté sur la
qualification du contrat ou encore que la qualification formellement retenue ne corresponde pas à leur
réelle volonté (les parties ont qualifié de vente une opération dans laquelle il n'y a pas de transfert de
propriété)
Article 12 du CPC «il appartient au juge de donner ou de restituer son exacte qualification à l'acte ».
L'alinéa 3 prévoit une limite à ce pouvoir de requalification judiciaire car les parties peuvent lier le juge
par leur qualification mais cela suppose 3 conditions cumulatives : il faut un accord exprès, il faut que le
litige soit déjà né et enfin que les parties aient la libre disposition de leurs droits (ce qui exclut
l'éviction de règles impératives auxquelles il n'est pas possible de déroger).
La qualification du contrat est une question de droit contrôlée par la Cour de cassation, les juges du fond
n'ont pas un pouvoir souverain en la matière. Ainsi, la qualification est un dialogue entre les parties et le
juge. Ce sont les parties qui fixent la qualification initiale du contrat mais le juge peut être amené à
revenir sur cette qualification en prenant appui sur la volonté réelle des parties.
B) L'office du juge
Le juge peut-il ou doit il requalifier la convention des parties ?
,Arrêt 21 décembre 2007 : l’article 12 oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux
faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions. Mais il ne lui fait pas
obligation de changer le fondement juridique de leur demande. En l'espèce, les juges ont été saisis d'une
demande fondée sur l'existence d'un vice caché affectant la chose achetée. Pour la cour, le juge, s'il
constate que les conditions de cette garantie ne sont pas remplies, il n'a pas à rechercher d'office si
l'action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme aux
stipulations contractuelles.
La Cour de cassation établit une distinction entre la qualification d'un acte qui est un devoir pour le
juge et le changement du fondement juridique d'une demande qui est une simple faculté.
Ex : si les parties se trompent de catégories car elles invoquent les règles du bail alors que leur contrat
est une vente, le juge doit requalifier le contrat.
Ex : A l'intérieur de cette qualification, sont formées des demandes (résolution dommages-intérêts) qui
peuvent reposer sur des fondements différents (garantie des vices cachés, obligation de conformité) où le
juge n'a pas l'obligation de changer le fondement juridique de la demande.
Arrêt Césareo : la Cour de cassation a posé un principe de concentration des moyens. Le demandeur
doit présenter, dès l'instance relative à la première demande, l'ensemble des moyens qu'il estime de
nature à fonder celle-ci. Par exemple, si l'acheteur a exercé une action en résolution de la vente en
invoquant la garantie des vices cachés et qu'il en a été débouté, il ne peut pas saisir une nouvelle fois la
juridiction pour obtenir la résolution en invoquant le manquement du vendeur à son obligation de
délivrance.
Il existe toutefois des règles particulières, tel est le cas pour les clauses abusives : Le juge national est
tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de
droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne
l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose.
Arrêt Ch mixte 2017 : Si le juge n'a pas, sauf clause particulière, l'obligation de changer le fondement
juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des
règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits
défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées.
II) Les méthodes de qualification
Les choses vont se compliquer lorsque le contrat conclu par les parties présente des éléments
permettant de le rattacher à plusieurs contrats nommés. Le juge est alors face à un triple choix :
A) La qualification exclusive
Elle consiste à rattacher un contrat à une catégorie juridique unique. Pour ce faire, le juge doit
procéder par élimination. Le critère le plus usuel est celui de la prestation caractéristique. Il s'agit de
l'obligation principale autour de laquelle transparait l'économie de la convention.
Ex : le transfert de propriété constitue la prestation caractéristique de la vente permettant de la
distinguer du bail, du prêt ou encore du dépôt.
, Par ailleurs, lorsqu'un même contractant est soumis à plusieurs obligations, la recherche de la
prestation caractéristique s'inscrit dans l’adage « les obligations accessoires s'éclipsent derrière
l'obligation principale » et se voit soumis au régime du contrat qualifié à l'aune de l'obligation principale.
Ex : Le fait pour un médecin de se voir confier provisoirement par son patient un bijou ne donne pas
naissance à un contrat de dépôt distinct.
Il ne faut pourtant pas surestimer le rôle de la prestation caractéristique :
- Il n'existe pas une seule prestation caractéristique intangibles pour chaque type de contrat. Par
exemple le transfert de propriété est impuissant pour distinguer la vente de la donation. Il faudra ainsi
s'appuyer sur l'existence d'une contrepartie monétaire au transfert de propriété pour qualifier le contrat.
- Les obligations accessoires d'un contrat, si elles n'influent pas sur la qualification du contrat, voient
leur propre régime défini par l’inspiration du contrat auquel elles se rattachent. Par exemple, les
obligations de conservation et de garde qui pèsent sur le médecin ou le coiffeur, lorsque des objets leur
sont confiés, sont définies par inspiration des règles du dépôt, quand bien même la convention n'est pas
qualifiée comme tel.
- Il est difficile d'identifier, pour tous les contrats, une obligation principale qui éclipserait les autres.
Le contrat de restauration emprunte des éléments à la vente (vente de nourriture), d'autres au contrat
d'entreprise (le service accompli par les serveurs et les cuisiniers).
B) La qualification distributive
Le contrat est rattaché à plusieurs qualifications de sorte que son régime juridique dépend de plusieurs
contrats spéciaux. Par exemple telle partie du contrat sera qualifiée de vente, telle autre d'entreprise.
Arrêt : la cour a décidé que le contrat par lequel un entraîneur hippique s'engageait à entraîner,
héberger ; donner des soins à un cheval, constituait pour partie un contrat d'entreprise et pour partie un
contrat de dépôt, de sorte qu'en cas de blessures au sein de l'écurie et non pendant l'entraînement, il y
avait lieu d'appliquer les règles du dépôt.
C) L'absence de qualification
La pratique va donner naissance à une sorte d'objet contractuel non identifié. La convention n'entre
dans aucun moule prédéfini par la loi, on est en présence d'un contrat sui generis innommé soumis à la
théorie générale du contrat.
Ex : Un ancien contrat innommé est le contrat de crédit-bail mobilier prévu à l'article l 313- 7 du cmf.
C’est un contrat de louage d'un matériel professionnel qui permet au preneur de jouir immédiatement
d’un bien en contrepartie du paiement d'un loyer, assorti d'une promesse unilatérale de vente.
Lorsqu'un contrat né de la pratique alors qu'il n'existe pas dans les textes, il correspond généralement à
un besoin qui transcende celui des parties contractantes. La loi intervient alors pour consacrer la
convention et la réglementer, le contrat sui generis devient alors nommé.
III) Les résultats de la qualification