La société détermine-t-elle ce qui est aimé ? (corrigé dissert DST3)
Les sujets ayant les mots amour et amitié sont exclus chez écricome. On a peu de chances d’avoir amour et amitié, ce sera
plutôt aimer.
Les différentes formes par lesquelles les relations d’amour et d’amitié se manifestent dans la société sont différentes à
notre époque mais aussi dépendent des mœurs de la société elle-même. La société est un phénomène historique qui n’apparait
qu’au XVIIIème siècle, bien que le mot societas existe dans la langue latine pour désigner une association d’ordre privé à des
fins économiques entre deux hommes ou un tout petit groupe d’hommes. Ce terme de societas apparait aussi chez Augustin
pour désigner la communauté des fidèles. En tenant compte de ce contexte, nous pouvons nous demander : « La société
détermine-t-elle ce qui est aimé ? » En quoi serait-elle la détermination de ce que l’être humain aime ? Qu’entendons-nous par
détermination ? Est-ce de l’ordre de la cause ? Ou bien la société n’est-elle pas une non-détermination de ce qui est aimé ?
Pourquoi n’en est-elle pas alors la raison structurante ? Quelle différence y a-t-il entre cause et raison ? Mais la société
détermine-t-elle ce qui est aimé, ni en termes de raison, ni en termes de cause, mais sous la forme de la constitution ? Quel est
le sens de constitution, et quelle est la différence avec cause et raison ?
Puisque la société n’apparait qu’au XVIIIème siècle, nous entendrons par société l’ensemble des individus. Pour qu’il
y ait donc société, il faut qu’il y ait d’abord reconnaissance de l’être humain comme étant unique, indépendant, et se suffisant
à lui-même. L’individu n’est jamais une partie d’un tout. C’est pourquoi ni dans l’Antiquité ni au Moyen-Age les être humains
n’existaient en étant pensés comme étant des individus, car la cité grecque était une totalité dont les parties étaient ses
citoyens, quant à l’ordre médiévale élaboré par une classification en trois, il était également conçu comme une totalité : l’ordre
de la noblesse, celui du clergé et enfin celui des laboureurs, en étaient les parties. Les sociétés apparaissent dès lors que les
individus veulent s’associer entre eux et passent ce que les auteurs nomment un pacte social. Notre question demande si la
société détermine ce qui est aimé. Par détermination, nous entendons ce qui fait être quelque chose en causant sa nature. Dire
que la société détermine signifie qu’elle dicte à l’avance ce qui doit être. Lorsque la société détermine quelque chose, ce qui
est alors déterminé n’est pas libre d’être ce qu’il veut être. Enfin par ce qui est aimé nous désignons en tant que généralité
tout ce que les être humains aiment à travers leurs relations amoureuses ou amicales. Mais à notre époque, par ce qui est
aimé, nous englobons aussi de manière extrêmement vague nos préférences, ce qui nous est agréable, ce que nous considérons
comme favorable. C’est ainsi que dans les réseaux sociaux, le symbole du pouce à l’endroit désigné comme « like » indique
une faveur, une préférence, issu du verbe anglais « to like » qui signifie « bien aimer ». Alors est-ce que la société détermine-
elle nos relations amoureuses et amicales, ainsi que nos préférences ? Ce serait lui accorder un pouvoir de façonnage ou de
modelage qui est contradictoire avec son propre concept. En effet, si la société n’apparait que par la volonté des hommes, c’est
qu’ils sont reconnus comme étant libres d’une part, et qu’ils auraient pu faire un choix de ne pas vivre en société d’autre part.
Si la société n’apparait que par la liberté humaine, il est contradictoire qu’elle détermine quoi que ce soit, y compris ce qui est
aimé, car cela lui octroie le pouvoir de causer, de produire la nature de ce qui est aimé. Or si nous regardons la société du
XXIème siècle, force est de constater qu’elle ne cause pas le comportement des individus. C’est-à-dire qu’elle ne le
prévoit pas d’avance : la société ne dit pas aux individus ce qu’ils doivent aimer mais elle les laisse libre d’aimer ce qu’ils
veulent. C’est ainsi que depuis le XXème siècle, les être humains se marient avec la personne de leur choix, et qu’il n’y a plus
de mariage forcé. Les législations des sociétés européennes rendent même illégal un mariage forcé . C’est là reconnaitre que
les individus sont libres ou non de se marier - ils peuvent rester célibataires s’ils le désirent - et que s’ils décident de se marier
ils se marient avec la personne de leur choix. De même, nous constatons dans les sociétés européennes que ceux qui s’aiment
n’ont pas besoin de se marier pour s’aimer. La libération des mœurs a rompu le lien entre l’amour et le mariage, en rompant le
lien entre l’amour et la reproduction. Les relations amicales ne sont pas davantage déterminées par la société. Chacun est libre
d’avoir telle personne pour ami. La société ne se mêle pas de ce qui est aimé parce qu’elle est précisément possible que sur la
base de la liberté de ses membres. C’est ainsi que HOBBES, LOCKE, ROUSSEAU ou encore KANT pensaient que
l’amour et l’amitié relèvent des passions humaines, que ni l’amour ni l’amitié ne peuvent se commander, bref que ce qui est
aimé s’appelle du sentiment ou encore de l’affection - sentiment veut dire qu’il s’agit de ce qui est éprouvé par un être humain
sensible, et affection veut dire que c’est ce qui touche l’être humain sensible. A chaque fois, l’être humain est perçu comme
ayant une sensibilité qui lui appartient en propre, or celle-ci ne peut être causée, déterminée par la société. C’est ainsi que
LOCKE, dans le deuxième traité du gouvernement civil, expose que les sociétés ont commencé lorsque les individus ont eu
davantage d’intérêt à vivre dans l’état civil plutôt que dans l’Etat de nature. Quant à HOBBES dans Le Léviathan, il a montré
que dans l’état de nature, qui est la guerre de chacun contre chacun et de tous contre tous, les hommes étant égaux et libres
vivent suivant leurs passions. Mais à l’Etat civil, les passions humaines ne disparaissent pas parce que précisément la
société ne détermine pas ce qui est aimé et c’est pourquoi selon le philosophe anglais il est nécessaire que le peuple désigne
un souverain - qu’il soit un homme, un groupe d’homme, ou tous - pour que l’Etat puisse assurer la récidive de la société.
Donc si nous entendons par société ce qui apparait au XVIIIème siècle et organise la vie humaine, nous sommes obligés
de conclure que la société ne détermine pas ce qui est aimé car elle se fonde sur la liberté des individus.
Mais les individus vivant en société sont-ils aussi libres que les auteurs du pacte social l’ont théorisé ? Est-ce que nous
ne pouvons pas considérer que la société a un pouvoir sur eux, sans être pour autant l’Etat ? En effet, ROUSSEAU, dans le
second discours sur L’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes , expose la différence qu’il y a entre
l’amour propre et l’amour de soi, et il montre que les hommes vivant en société changent profondément leur manière d’être au
point de transformer leur nature. Par conséquent, la société joue bien un rôle dans les rapports humains. Nous pouvons alors