DUNG, Manuela, Pologne, Hongrie… ces démocraties « illibérales » qui remettent en
cause l’Etat de droit, L’Histoire, n° 316, janvier 2007, 4 p.
L’appellation démocratie « illibérale » est imaginée par Fareed Zakaria dans les
années 1990. Le politiste Pierre Rosanvallon la définit comme « une culture politique qui
disqualifie en son principe la vision libérale ». Quatre ans avant la parution de l’article, un
Etat se proclame pour la première fois démocratie illibérale. Il s’agit de la Hongrie, qui, avec
la Pologne, en est la principale à ce jour. Journaliste au Monde, Anne Chemin aborde des
thèmes tels que la liberté d’expression ou la République, ainsi que de nombreux et divers
sujets de société.
Dans cet article, Anne Chemin analyse les principes des démocraties illibérales ainsi que
leurs divergences avec le concept de démocratie, tout en alertant sur la menace qu’ils
représentent pour la liberté. On les dit démocraties parce que leurs dirigeants sont élus par le
vote, on les dit illibérales parce qu’elles bafouent l’Etat de droit. Bien qu’une telle formule
paraisse paradoxale, les démocraties illibérales sont bien présentes : peu marquée en
Argentine, despotique au Kazakhstan, elles sont plus ou moins prononcées. Elles s’appuient
tout d’abord sur leur « seule source de légitimité politique » : le vote. Or penser que la
démocratie se limite au principe électoral est une erreur, relevée dès le XVIIIème siècle par
Rousseau. Il émet en effet l’idée que la majorité n’a pas le monopole du bon sens concernant
le bien commun, donc que la démocratie va au-delà de la suprématie des opinions (et du
vote). Elle est consubstantielle à des valeurs immuables hors de portée des aléas des procédés
électoraux. Ainsi le soutien de la majorité ne suffit pas pour ébranler ces valeurs fondatrices
de la démocratie, telles que l’égalité ou la liberté : « on ne peut pas vouloir librement ne pas
être libre ». D’autre part, les dirigeants de ces régimes hybrides s’imposent comme les
uniques représentants de leur peuple. Croyant incarner la volonté du peuple, le chef
entreprend de réduire au silence quiconque contesterait sa conception politique, que ce soient
les associations, les syndicats, les partis opposants ou les citoyens. Il tente de plus de limiter la
liberté d’expression et de mettre au pas la justice et l’administration. En plus de menacer
l’Etat de droit (et donc les droits fondamentaux des citoyens), ces régimes ne reconnaissent
pas la société civile dans sa diversité et sa complexité. Cela va à l’encontre de la culture de la
confrontation, un aspect fondamental de la démocratie.
Ecrit d’une belle plume, le texte comprend même quelques touches d’humour, ce qui ne le
rend que plus captivant. Il est également doté de nombreuses références et citations, qui
contribuent non seulement à la richesse du texte, mais qui permettent aussi au lecteur