LA RELIGION EN QUESTION
Introduction
Qu’est-ce que la religion ? Durkheim donne une définition objective de la religion pour en éclairer
le sens et dit « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des
choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même
communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent » (⇒ ecclesia : lieu où se réunit une
communauté de croyants).
Or, une telle définition tend à caractériser comme religion toute forme de communauté autour
d’une croyance et de rites communs par lesquels les individus tendent à sacraliser quelque chose
et tel que dans cette communauté on célébrerait cet amour que nous avons en commun. On
pourrait se demander si un club de supporter d’un sport donné ne serait pas une religion car on
partage en commun une croyance qui s’accompagne de rites, d’une sacralisation de quelque chose
(ballon par exemple).
En un sens, toute communauté humaine qui se rassemble autour d’un mythe commun, de rites ne
serait pas qualifiée de religion ? Or, ce qui fait défaut dans cette définition c’est un aspect essentiel
de la religion qui fait que toute la communauté religieuse est une communauté car au coeur des
religion, il y a 2 revendications :
• revendication de vérité
• revendication de loi
Ces revendications ne sont pas purement relatives mais affirmées comme ayant un sens absolu et
telles qu’elles sont sensées éclairer intégralement l’existence de celui qui a la foi.
Quels sens prennent la vérité et la loi dans l’ordre religieux ? La vérité et la loi ont une origine
transcendante c’est-à-dire qu’elles sont sensées être l’expression d’un au-delà/ d’une autorité
supérieure qui dépasse la raison humaine ou le pouvoir des hommes. Dans l’ordre de la religion,
les hommes reçoivent la vérité, la loi, bien plus qu’ils ne se la donnent à eux-même. Autrement dit,
dans l’ordre religieux, la vérité et la loi sont objets d’une révélation et non pas d’un choix, d’une
construction rationnelle ou d’une délibération/ débat commun.
Dès lors, qu’est-ce que la religion met en question ? La vérité et la loi remettent complètement en
cause la capacité d’autonomie de l’homme. Dans la religion, l’homme est sensé abandonner son
autonomie et ne décide pas par lui-même de la loi, de construire la vérité car elles sont données
par une autorité divine. Marcel Gauchet dans La fin de la religion ? relève qu’au coeur de toute
religion il y a un principe fondamental d’hétéronomie (≠ autonomie). Ce n’est pas moi qui me
donne la loi/ la vérité, j’obéis à une loi, reconnaît une vérité qui me vient d’ailleurs. Au coeur de
toute religion, il y aurait une façon pour l’homme d’abandonner sa liberté, sa capacité à créer et tel
que le seul être capable de diriger le destin humain et sa puissance créatrice est Dieu lui-même.
Immanquablement, la religion exalte en un sens l’abandon de notre liberté, de notre libre arbitre.
Or, si cette revendication de vérité et de loi prend un sens au combien politique c’est parce qu’elle
rentre en contradiction avec l’interprétation que les sociétés modernes font de la loi et de la vérité.
En effet, à l’idée d’une origine transcendante de la vérité telle que l’affirme la religion, la raison
oppose l’idée qu’aucune affirmation ne peut prétende au titre de vérité si elle échappe à la raison
humaine, si la raison humaine n’est pas capable de mettre à l’épreuve cette idée et la prouver par
elle-même. Pour le rationalisme moderne, l’idée qu’il y aurait des vérités obscures à la raison
, humaine est tout simplement une contradiction dans les termes et encore plus polémique.
L’interprétation de la loi par la religion est qu’à l’idée que la loi transcende une autorité supérieure,
l’époque moderne oppose à cela l’exigence d’autonomie des sociétés (= fondement de la
démocratie). En effet, à l’opposé de la religion, l’idéal démocratique suppose que les hommes
n’obéissent qu’aux lois qu’ils se sont donné à eux-même qui est le produit de leur liberté commune
au regard de cette exigence démocratique. Toute loi est sensée avoir une autre origine que la
volonté générale, soupçonnée immédiatement comme étant le masque de l’arbitraire et de la
tyrannie.
La conception de la loi dans l’ordre religieux est fondamentalement anti-démocratique. Dès lors, ce
que met en question la religion, c’est le sens de la vérité et de la loi.
Nous allons interroger le sens que prend la vérité dans l’ordre religieux. Faut-il ou non admettre
une vérité qui échappe ou non à la raison ? Faut-il considérer d’ailleurs que la religion implique
l’abandon de notre raison ? Et-ce que la religion nie notre raison au bien répond-elle à un besoin de
notre raison ?
En ce qui concerne le sens de la loi, on pourrait se demander si la loi est la condition du sens de
l’existence humaine. Est-ce qu’elle rend possible notre humanité ou en est-elle l’allitération ?
Enfin, l’ordre d’une société suppose-t-il ou non un lien religieux entre ces membres ?
I. Y a-t-il des vérités qui échappent à la raison ?
Immédiatement, la foi religieuse nous met face à un paradoxe : il y a bien au coeur de cette
croyance la revendication d’une vérité qui n’est aucunement relative mais sensée éclairer
intégralement me monde et le destin humain. En même temps, cette vérité ne s’accompagne
d’aucune preuve suffisante pour en garantir la valeur, loin que cette cohérence de preuves menace
la vérité en question. Elle semble au contraire la renforcer.
C’est un tel paradoxe que souligne Kant dans sa Critique de la raison pure où il distingue diverses
façons de se rapporter à la vérité d’une idée. Il distingue notamment ce qui est de l’ordre de
l’opinion, de la foi et de la science.
• opinion : ce qui caractérise l’opinion est qu’il y a une incertitude subjective parce qu’il y a
une incertitude objective de l’énoncé. Autrement dit, j’énonce une idée que j’énonce être
fragile car je sais qu’elle ne s’accompagne pas de preuves rationnelles.
• science : j’éprouve une pleine certitude parce qu’elle est fondée sur une certitude
objective, s’appuie sur des preuves objectives et rationnelles.
• foi : or, nous dit Kant, avec la foi nous sommes dans un intermédiaire énigmatique : le sujet
éprouve une certitude objective remarquable alors que cette certitude ne s’accompagne
pas de preuves objectives et rationnelles capables de garantir la certitude qui est la sienne.
La foi serait une vérité éprouvée corps et âme par le croyant et en même temps que la raison
semble incapable de valider. Or le fait que cette vérité ne puisse apparaître absurde à la raison, loin
de discréditer cette certitude, lui donne tout son sens et son intensité.
C’est ce que relève Tertullien quand il a cette formule « credo quia absurdum » c’est-à-dire « je
crois parce que c’est absurde ». Cela signifie qu’étonnement, ce qui prouve la vérité religieuse c’est
justement le fait qu’elle puisse apparaître absurde à ma raison. Comment, dès lors, expliquer que je
continue d’y croire, de m’y attacher, alors que la raison désapprouve complètement ? Seule la