Énoncé
Sujet : Le poète doit-il nécessairement tremper sa plume dans la boue ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur Les Fleurs du mal de
Charles Baudelaire ainsi que sur des lectures personnelles.
Introduction
Étymologiquement, le poète est un créateur. Aussi sculpte-t-il toutes sortes de
matériaux, des plus nobles aux plus bas, pour les transformer par sa technique
et son art. Dans Les Fleurs du mal, Baudelaire plonge ainsi dans « la boue » du
monde et de l'âme, comme l'indique la répétition de ce substantif tout au long
du recueil. Mais le poète est-il condamné à tremper sa plume dans cette fange
pour parvenir à créer ? Cette question interroge les fonctions et les pouvoirs de
la poésie. Certes, comme nous commencerons par le noter, le poète peut
célébrer les charmes de l'existence. Reste que nous constaterons ensuite qu'il
est rarement insensible aux troubles qui l'entourent ou l'habitent.
Paradoxalement, c'est ce détour par la noirceur qui peut éclairer le lecteur.
Les charmes de la vie
Les plaisirs de l'amour
Si Ronsard évoque la mort, c'est aussi pour chanter la vie. Son memento mori
appelle souvent un carpe diem. Il écrit notamment dans ses Sonnets pour
Hélène : Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle !
[…] Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Même dans le sombre bouquet des Fleurs du mal, on trouve de tels élans dès
lors qu'il s'agit de peindre les charmes d'une femme. Certes, « Remords
posthumes » est une réécriture bien sombre des poèmes de Ronsard. Mais « La
chevelure » traduit une ivresse communicative. La femme aimée devient même
une porte ouverte menant à la beauté et à l'infini : Cheveux bleus, pavillon de
ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
, De même, Paul Éluard a souvent écrit sur l'amour et ses pouvoirs. Dans « Celle
de toujours, toute », il proclame par exemple : « Je chante pour chanter, je
t'aime pour chanter / Le mystère où l'amour me crée et se délivre. » L'amour,
loin d'asservir, est ici source de liberté.
La beauté du monde
Le poète est aussi celui qui nous invite à contempler le monde pour en
découvrir les innombrables richesses. Il arrive que, dans Les Fleurs du mal, le
tableau proposé par Baudelaire dégage une impression d'harmonie. L'heure
n'est alors plus à l'affrontement mais au plaisir des sens. Dans « Harmonie du
soir », « les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ». Dans « L'Invitation
au voyage », Baudelaire nous offre une évasion grisante vers un « pays » où
« tout n'est qu'ordre et beauté, / luxe, calme et volupté ».
De même, c'est en s'abaissant parfois vers les choses les plus simples que le
poète parvient à nous élever. Dans ses Odes, Ronsard chante les plaisirs de la
vie : Achète des abricots,
Des pompons, des artichauts,
Des fraises, et de la crème :
C'est en été ce que j'aime,
Quand sur le bord d'un ruisseau
Je les mange au bruit de l'eau,
Étendu sur le rivage,
Ou dans un antre sauvage.
À nouveau, l'heure est au carpe diem et la poésie parvient à nous réconcilier
avec le monde qui nous entoure. En somme, la poésie célèbre parfois les
charmes de l'existence. Est-ce à dire qu'elle délaisse les souffrances ? Rien n'est
moins sûr, tant elle se fait souvent l'écho des troubles du monde.
Les troubles du monde
Échos
Même s'il n'est pas question pour lui d'assujettir la poésie à des fins morales ou
politiques, Baudelaire n'écrit pas retiré dans une tour d'ivoire. Dans « Le Joujou
du pauvre », l'un de ses Petits Poèmes en prose, il représente ainsi les « barreaux
symboliques » qui séparent un enfant « beau et frais, habillé de ces vêtements
de campagne si pleins de coquetterie » et un enfant « sale, chétif, fuligineux ». Le
poème s'achève sur le spectacle de cet enfant pauvre qui possède pour seul