Objet d'études n°4 : commentaire linéaire 1 :
Gargantua : Extrait 1 : Prologue de l'auteur
Pb : En quoi ce prologue original et déroutant permet-il à l'auteur d'introduire son projet littéraire ?
I) Captatio benevolentiae drôle et savante
II) Des silènes et de Socrate
III) Explication de l'auteur
Introduction :
Amorce : Pour les humanistes, la Renaissance est une période de « réveil » après mille ans d'obscurité ; il s'agit
donc de redécouvrir les arts antiques, et la rhétoriques ainsi que la littérature en font partie.
AOS : François Rabelais, ayant appartenu aux humanistes de la première moitié du XVIe siècle, est un moine,
médecin et auteur de la Renaissance, né à la toute fin du XVe siècle. Sa vie est tout aussi mystérieuse que
romanesque : il a quitté l'habit ecclésiastique pour étudier la médecine, il a voyagé en Italie, il a été censuré par la
Sorbonne pour ses écrits mais réhabilité par le Pape qui l'autorise à être moine et médecin... Rabelais est
aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands auteurs français grâce à Pantagruel et Gargantua, deux romans
qui mettent en scène des géants débonnaires. Gargantua, paru en 1534, relate la vie du père de Pantagruel. Notre
extrait constitue le prologue rédigé par l'auteur se présentant comme Alcofribas Nasier ; il suit un court avis au
lecteur en vers et précède le premier chapitre du roman. Du grec pro (avant) et logos (discours), le prologue est
une sortie d'introduction qui permet de présenter l’œuvre ainsi que la démarche de l'auteur.
Problématique et plan : En quoi ce prologue original et déroutant permet-il à l'auteur d'introduire son projet
littéraire ? Nous étudierons d'abord une captatio benevolentiae drôle et savante, puis nous nous demanderons
pourquoi l'auteur évoque les silènes et Socrate, enfin nous analyserons l'explication rédigée par Alcofribas.
1 Buveurs très illustres et vous, vérolés très précieux (car c'est à vous, à personne d'autre, que sont
dédiés mes écrits), Alcibiade, dans le dialogue de Platon intitulé « Le Banquet », au moment de faire
l'éloge de son précepteur Socrate, lequel était unanimement reconnu comme prince des philosophes, dit
entre autres compliments qu'il était semblable aux silènes.
5 Les silènes étaient jadis de petites boîtes comme celles que nous voyons aujourd'hui dans les boutiques des
apothicaires, le couvercle décoré de figures amusantes et frivoles telles que [harpies, satyres, oisons bridés,
lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs attelés] et autres semblables peintures imaginées pour
faire rire les gens (Silène, maître du bon Bacchus, était ainsi fait). Toutefois, à l'intérieur, on conservait de
fines substances : baume, ambre gris, amomon, musc, civette, pierreries et autres choses précieuses.
10 Tel était Socrate. Car, en jugeant son aspect et en l'estimant selon son apparence, vous n'en auriez pas
donné une pelure d'oignon, tant il était laid et ridicule : le nez pointu, le regard bovin, le visage d'un fou,
simple dans ses mœurs, rustique dans ses vêtements, pauvre, malheureux avec les femmes, inapte à
toutes les fonctions de la société, toujours riant, toujours trinquant à la santé de chacun, toujours se
moquant, toujours dissimulant son divin savoir. Or, en ouvrant cette boîte, vous auriez découvert à
15 l'intérieur une substance céleste et inappréciable : une intelligence surhumaine, une force d'âme
incroyable, un courage invincible, une sobriété sans pareille, une complète sérénité, une parfaite confiance
en soi, un mépris absolu envers tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et
bataillent.
A votre avis, pourquoi ce prélude et coup d'essai ? Pour que vous, mes bons disciples
20(ainsi que quelques autres fous oisifs) lorsque vous lirez les joyeux titres de
certains livres imaginés par moi, comme « Gargantua », « Pantagruel », « Fessepinte»,
« La Dignité des Braguettes », « Sur les haricots au lard cum commento », etc., vous ne
pensiez trop rapidement que leur contenu n'est que moqueries, folâtreries et menteries
joyeuses, l'enseigne extérieure de la boutique (c'est le titre) étant généralement
25 interprétée, sans recherche plus approfondie, comme un signe de dérision et de
plaisanteries.
Pb : En quoi ce prologue original et déroutant permet-il à l'auteur d'introduire son projet littéraire ?
I) Captatio benevolentiae drôle et savante l. à 4
A) Apostrophe provocatrice au lecteur :
- auteur s'adresse à eux : présence du pronom pers « vous » x2 l. 1
- il créé avec eux une relation d'exclusivité : l. 2 participe passé « dédiés » + groupe prép « à
personne d'autre » l. 1, qui est ici ironique.
- mais il apostrophe un lectorat particulier : 2 GN « buveurs très illustres » et « véroles très
précieux ». Aspect comique voire burlesque car décalage entre aspect solennel du prologue et