L’Éducation Sentimentale
Gustave Flaubert
Dans une lettre de 1852 Flaubert donnait une superbe définition de la dualité́ qui parait
constitutive de sa personnalité́ littéraire : « Il y a en moi, littérairement parlant, deux
bonshommes distincts : un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de
toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée ; un autre qui creuse et fouille le
vrai tant qu'il peut, qui aime à accuser le petit fait vrai aussi puissamment que le grand, qui
voudrait vous faire sentir presque matériellement les choses qu'il reproduit. »
Cette confidence révèle la ligne de partage ou de fracture qui sépare les deux visages
apparemment contradictoires d'un même être. D'un côté́ l'admirateur passionné de Hugo,
Sainte-Beuve, Byron ou Goethe, le rédacteur impétueux ou ténébreux de Smarh (1839) et des
Mémoires d'un fou (1838) ; de l'autre le fils du chirurgien de l'hôpital de Rouen, l'« ermite de
Croisset »fasciné par la biologie et le déterminisme scientifique, l'écrivain décidé́ à plier la
littérature aux lois de la science et à faire avec les mots «aussi vrai »qu'avec les choses.
La duplicité́ des romans de Flaubert, comme celle du « bonhomme », n'est donc pas
niable ; elle en constitue même l'originalité́ . En tant que récits, ce sont bien tous des objets
littéraires qui nous racontent « quelque chose » ; en tant que discours, ce sont des œuvres où «
le style est à lui seul une manière de voir les choses ». C'est-à-dire d'abord un effort, un
immense travail d'élaboration formelle dont les séances de « gueuloir », racontées par
Maupassant, étaient l'épreuve finale : « Il écoutait le rythme de sa prose, s'arrêtant pour
saisir une sonorité́ fuyante, combinant les tons, éloignant les assonances, disposant les
virgules avec conscience, comme les haltes d'un long chemin. »
I. Résumé de l’œuvre :
A. Première partie :
En 1840, Fréderic Moreau, un bachelier de 18 ans, rencontre sur le bateau qui le
ramène du Havre Jacques Arnoux et sa femme Marie avec laquelle il échange quelques mots
et regards qui le marqueront à jamais. Après un moment passé à Nogent auprès de sa mère et
de son ami Deslauriers, Frédéric, monté à Paris pour faire son droit, s'enlise dans une vie
universitaire ennuyeuse et reste aux portes du «grand monde »à conquérir que symbolise la
réussite de M. Dambreuse, indus- triel et homme politique influent auprès duquel il a été
recommandé. Même sa « grande passion »pour Marie s'étiole dans la routine de visites
insipides.
En 1841, une manifestation d'étudiants à Paris rompt cette continuité du temps morose
en favorisant sa rencontre avec Dussardier, un prolétaire courageux qui restera un ami fidèle,
et Hussonnet, un journaliste, qui le remet sur les traces du domicile privé des Arnoux. Alors
que Deslauriers l'a rejoint dans la capitale et partage avec lui les mêmes relations (Regimbart,
Pellerin, Cisy, Sénécal), Fréderic courtise platoniquement Marie et lui sacrifie ses études
pendant une année. En août 1843, alors qu'il en a fini avec ses examens et croit le bonheur à
sa portée, un coup de malchance l'accable : sa mère lui apprend qu'ils sont ruinés, qu'il devra
renoncer à Paris et revenir travailler en province. Deux ans s'écoulent alors pour lui dans une
étude de Nogent avec, à l'horizon, le projet d'un mariage avec Louise Roque, la fille de leur
voisin. Mais, nouveau coup de théâtre, fin 1845, Frédéric hérite d'un vieil oncle : il repart pour
Paris.