Lecture linéaire n°13
« Un soir au coucher du soleil » - Le Rouge et le
Noir de Stendhal (Chap 17 livre 1)
Stendhal, Le Rouge et le Noir, livre 1, Chapitre 17
ILLUSIONS PERDUES
1 Un soir au coucher du soleil, assis auprès de son amie, au fond du verger, loin des
importuns, il rêvait profondément. Des moments si doux, pensait-il, dureront-ils toujours
? Son âme était tout occupée de la difficulté de prendre un état : il déplorait ce grand
accès de malheur qui termine l'enfance et gâte les premières années de la jeunesse peu
5 riche.
-Ah ! s'écria-t-il, que Napoléon était bien l'homme envoyé de Dieu pour les jeunes
Français ! Qui le remplacera ? que feront sans lui les malheureux, même plus riches que
moi, qui ont juste les quelques écus qu'il faut pour se procurer une bonne éducation, et
pas assez d'argent pour acheter un homme à vingt ans et se pousser dans une carrière !
10 Quoi qu'on fasse, ajouta-t-il avec un profond soupir, ce souvenir fatal nous empêchera à
jamais d'être heureux !
Il vit tout à coup Mme de Rênal froncer le sourcil ; elle prit un air froid et dédaigneux ;
cette façon de penser lui semblait convenir à un domestique. Elevée dans l'idée qu'elle
était fort riche, il lui semblait chose convenue, que Julien l'était aussi. Elle l'aimait mille
15 fois plus que la vie, et ne faisait aucun cas de l'argent.
Julien était loin de deviner ces idées. Ce froncement de sourcil le rappela sur la terre. Il
eut assez de présence d'esprit pour arranger sa phrase et faire entendre à la noble
dame, assise si près de lui sur le banc de verdure, que les mots qu'il venait de répéter, il
les avait entendus pendant son voyage chez son ami le marchand de bois. C'était le
20 raisonnement des impies.
— Eh bien ! ne vous mêlez plus à ces gens-là, dit Mme de Rênal, gardant encore un peu
de cet air glacial, qui, tout à coup, avait succédé à l'expression de la plus vive tendresse.
Ce froncement de sourcil, ou plutôt le remords de son imprudence, fut le premier échec
porté à l'illusion qui entraînait Julien. Il se dit : elle est bonne et douce, son goût pour
25 moi est vif, mais elle a été élevée dans le camp ennemi. Ils doivent surtout avoir peur de
cette classe d'hommes de cœur qui, après une bonne éducation, n'a pas assez d'argent
pour entrer dans une carrière. Que deviendraient-ils ces nobles, s'il nous était donné de
les combattre à armes égales ! Moi, par exemple, maire de Verrières, bien intentionné,
honnête comme l'est au fond M. de Rênal, comme j'enlèverais le vicaire, M. Valenod et
30 toutes leurs friponneries ! comme la justice triompherait dans Verrières !
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, Introduction
Stendhal = vrai nom = Henri Beyle / XIXe siècle / réalisme = décrire la réalité dans le roman /
issu d’une famille bourgeoise royaliste / s’engage dans l’armée de réserve de Napoléon
Le Rouge et le Noir = 1830 / connaîtra le succès qu’au XXe siècle
Le Rouge et le Noir aussi appelé “Chroniques de 1830”
Extrait = parle d’idée politique
Problématique : En quoi la religion et la politique jouent un rôle majeur dans cette œuvre ?
A/ Une idylle hantée par la mélancolie (l. 1-11)
Ligne 1 ● idylle = petit poème chantant ordinairement l'amour dans un cadre
pastoral —> par extension toute description d'une relation idéale dans
un décor naturel harmonieux
● Cette scène = qualifiée d'idyllique à cause de son décor (les deux
amoureux, assis l'un près de l'autre, se trouvent au coucher du soleil
dans un verger) + à cause de la perception idéalisée que les
personnages ont de cette scène (selon Julien, il s'agit de « moments si
doux »)
Ligne 2 ● point de vue adopté par la narration = celui de Julien —> on suit ses
pensées (« Des moments si doux, pensait-il, dureront-ils toujours ? ») et
on a également accès à ses émotions (« Il déplorait ce grand accès de
malheur »).
Ligne 3 ● Au milieu de cette scène d'harmonie et d'amour, Julien a des pensées
plutôt noires il réfléchit sur la « difficulté de prendre un état » pour les
jeunes qui ne sont pas riches et qui ont juste assez d'argent pour
pourvoir à leur éducation. Il s'inquiète, en d'autres mots, de ne pas
pouvoir faire carrière dans la profession qui l'intéresse, faute d'argent.
Ligne 4 ● champ lexical dominant = tristesse : « déplorait », « malheur », «
malheureux », soupir « nous empêchera jamais d'être heureux » —>
renseigne sur les inquiétudes très fortes du personnage, qui déplore les
conséquences que sa pauvreté aura sur son avenir
Ligne 6 ● tiret marque passage au discours direct
● verbe qui introduit le discours direct est « s'écria » —> manifeste
l'émotion du personnage puisqu'il s'agit en quelque sorte d'un cri du
cœur incontrôlé —> Julien réagit spontanément à ses tristes pensées et
aux malheurs qui le guettent en oubliant la présence de Mme de Rênal.
● Pour Julien, Napoléon est « un envoyé de Dieu pour les jeunes Français
» car, sous l'Empire, les jeunes hommes désargentés avaient la
possibilité de s'élever dans la société par leur mérite, notamment
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