Michel Grimaldi a eu l’occasion de dire que « le cautionnement se signe avec le sourire pour se
dénouer dans les larmes ». Bien qu’il ne faille pas être pessimiste dans ce domaine, cette citation
peut s’appliquer aux contrats de mariage. Cette connexion, certes pessimiste et cocasse entre
cautionnement et contrat de mariage n’est pas isolée, de telle sorte que la Cour de cassation a pu
parfois se prononcer sur l’articulation du cautionnement et du contrat de mariage. Des
problématiques ont en effet pu naître en terme d’appréciation de la proportionnalité du
cautionnement et des biens à prendre en compte lorsque la caution est mariée. C’est à cette
dif culté que répond la chambre commerciale dans un arrêt du 6 juin 2018.
En l’espèce, un époux s’est rendu caution, le 12 avril 2007, du remboursement d’un prêt consenti
par une banque à une société. Cette société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a
alors assigné l’époux-caution en exécution de son engagement. Ce dernier invoqua alors la
disproportion de son engagement, a n de rejeter la demande de la banque.
Le jugement rendu par la juridiction du premier degré n’est pas connu, mais un appel a été
interjeté à l’encontre de cette décision. La cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt rendu le 21
septembre 2016 rejeté l’ensemble des demandes de la banque en considérant le cautionnement
de l’époux comme étant manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Les juges
toulousains relevant tout d’abord que la conjointe avait donné son accord pour l’engagement des
biens communs, retiennent ensuite que pour l’appréciation de la proportionnalité du
cautionnement, doivent être pris en considération la seule part de la caution dans ces biens et ses
revenus et non le patrimoine et les revenus du couple.
La banque se pourvoi alors en cassation et considère que l’arrêt rendu par les juges toulousains le
21 septembre 2016 est contraire aux dispositions de l’article L341-4 du code de la consommation,
dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016.
L’appréciation de la proportionnalité de l’engagement d’une caution commune en biens s’apprécie-
t-elle par rapport aux biens et revenus de celle-ci?
La Cour de cassation casse et annule, l’arrêt rendu le 21 septembre 2016 par la cour d’appel de
Toulouse en considérant que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune
en biens s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu'il y ait
lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du
code civil, qui détermine seulement le gage du créancier. De telle sorte que les biens propres et
les revenus de l’époux ainsi que les biens communs, incluant les revenus de l’épouse doivent être
pris en considération dans l’appréciation de la disproportion éventuelle.
A n d’arriver à cette solution, la Haute Cour ne prend pas en considération du gage du créancier
dans l’appréciation de la disproportion du cautionnement (I). Corollairement, elle prend alors en
considération l’intégralité des biens communs de l’époux caution dans l’appréciation de la
disproportion. (II)
I. L’inconsidération du gage du créancier dans l’appréciation de la disproportion du
cautionnement
Cet arrêt rendu par la chambre commerciale le 6 juin 2018 appliquent de manière logique le
principe légal de proportionnalité. La Haute Cour pro te de la décision qui lui est donné en
l’espèce a n de préciser de manière, certes super ue, mais tout à fait cohérente l’ignorance de
l’accord du conjoint de l’époux-caution dans l’appréciation de la disproportion. Elle exclut donc
l’article 1415 et donc le gage du créancier en matière d’appréciation de la proportionnalité du
cautionnement.
A. La logique application légale de la proportionnalité du cautionnement
L’exigence de proportionnalité du cautionnement a vu légalement le jour avec la loi Neiertz du 31
décembre 1989 n° 89-1010 de lutte contre le surendettement. Ce texte au domaine relativement
restreint puisqu’il ne concernait que les cautionnements garantissant des crédits à la
consommation est devenu l’article 313-10 du Code de la consommation puis l’article 314-19 sans
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, subir aucune modi cation. Le législateur dans son objectif de protection de la caution a étendu
cette proportionnalité avec la loi Dutreil n°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique
devenu l’article L341-4 du code de la consommation. Ce texte consacre un principe de
proportionnalité à l’égard de toute personne physique ayant consenti un cautionnement envers un
créancier professionnel. Ce texte ayant un champ d’application et un domaine plus large que la loi
du 31 décembre 1989 vide cette dernière d’utilité pratique. En outre, la jurisprudence a pu par la
suite préciser en appliquant l’adage « ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus » que la
loi du 1er août 2003 s’appliquait au dirigeant social (Com 13 avril 2010- 22 juin 2010-16 septembre
2010) et aux cautions averties (Com 10 juillet 2012)
En outre, la jurisprudence a fait naître dans l’arrêt Macron du 17 juin 1997 une exigence
jurisprudentielle de proportionnalité du cautionnement. Cette exigence jurisprudentielle ne
concerne pas les cautions averties (Com 8 octobre 2002) comme les dirigeants sociaux
d’entreprise.
Cette exigence jurisprudentielle est destinée à devenir obsolète, puisque celle-ci est moins
favorable à la caution qui ne se voit attribuer qu’une réduction du montant de cautionnement en
cas de disproportion alors que l’exigence légale lui permet une libération totale. Cette exigence
jurisprudentielle pourrait se voir appliquer par dépit par la caution en raison du fait que l’article
L331-1 n’est pas applicable aux cautionnements souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de
la loi du 1er aout 2003. (Chambre mixte 22 septembre 2006).
En l’espèce, il est donc logique que l’exigence légale de proportionnalité du cautionnement soit
appliqué puisque le cautionnement est né le 12 avril 2007, donc postérieurement au 1er aout
2003. Cependant, l’arrêt ne précise pas si la caution est dirigeant social ou non, il serait cohérent
qu’il le soit, car la caution porte sur un prêt consenti par une banque à une société.
La sanction légale de la disproportion du cautionnement n’est pas discutée en l’espèce. Celle-ci
est l’impossibilité pour le créancier de se « prévaloir » (Ancien L341-4 code consommation) de la
caution ce qui s’analyse en une déchéance, ce que la doctrine majoritaire considère (L. Aynès- De
Laender- Malaurie- Piette- Simler).
Cette sanction est très rigoureuse pour le créancier, puisque ce dernier retrouve sa qualité de
créancier chirographaire en ne pouvant plus se « prévaloir » de sa sûreté. C’est d’ailleurs pour
cela que le projet de réforme du droit des sûretés présidé par le professeur Grimaldi propose
d’insérer dans le code civil à l’article 2301 un texte disposant que « Le cautionnement souscrit par
une personne physique est r ductible s’il tait, lors de sa conclusion, manifestement
disproportionn aux revenus et au patrimoine de la caution, moins que celle-ci, au moment o
elle est appel e, ne soit en mesure de faire face son obligation. ». Cependant, en l’état actuel du
droit positif, il faut se contenter de cette sanction qu’est la déchéance. Bien que cette sanction ne
soit pas discutée en l’espèce, il convient en raison de sa sévérité d’apprécier correctement si la
caution est ou non disproportionnée, ce qui n’est pas toujours simple. Les contentieux entourant
l’appréciation de la disproportion du cautionnement étant récurrent.
Cet arrêt en est le parfait exemple et permet de préciser la manière d’apprécier la disproportion en
répondant à l’articulation des articles 1415 du code civil et L341-4 du code de la consommation,
dans le cas d’une appréciation de la proportionnalité d’un cautionnement d’une caution mariée.
B. La précision super ue mais cohérente de l’ignorance de l’accord du conjoint dans
l’engagement des biens communs
La solution rendue par la chambre commerciale du 6 juin 2018 permet de préciser l’assiette
d’appréciation de la proportionnalité du cautionnement de l’époux caution. Celle-ci ne doit pas se
confondre avec une autre assiette, le gage des créanciers.
Le gage des créanciers, dans le régime de la communauté est déterminé par l’article 1413 du
Code civil qui pose le principe et qui dispose « Le paiement des dettes dont le mari vient à être
tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les
biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude du mari et mauvaise foi du créancier, et sauf la
récompense due à la communauté s'il y a lieu. ». Cependant, comme tout principe, il existe des
exceptions. L’article 1415 s’inscrit dans ces exceptions et dispose que « Chacun des époux ne
peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins
que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce
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