EL3 : Le pavillon à Coulommiers
Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière, pour empêcher qu’on ne pût entrer ;
en sorte qu’il était assez difficile de se faire passage. Monsieur de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt
qu’il fut dans ce jardin, il n’eut pas de peine à démêler où était Madame de Clèves. Il vit beaucoup de
lumières dans le cabinet, toutes les fenêtres en étaient ouvertes ; et, en se glissant le long des palissades, il
s’en approcha avec un trouble et une émotion qu’il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des
fenêtres, qui servait de porte, pour voir ce que faisait Madame de Clèves. Il vit qu’elle était seule ; mais il la
vit d’une si admirable beauté, qu’à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud,
et elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés.
Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de
rubans ; elle en choisit quelques-uns, et Monsieur de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes couleurs
qu’il avait portées au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire,
qu’il avait portée quelque temps, et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui madame de Clèves l’avait prise sans
faire semblant de la reconnaître pour avoir été à Monsieur de Nemours. Après qu’elle eut achevé son
ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le
cœur, elle prit un flambeau et s’en alla proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où
étaient le portrait de Monsieur de Nemours ; elle s’assit, et se mit à regarder ce portrait avec une attention
et une rêverie que la passion seule peut donner.
On ne peut exprimer ce que ressentit Monsieur de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit,
dans le plus beau lieu du monde, une personne qu’il adorait ; la voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir
tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait, c’est ce qui n’a jamais
été goûté ni imaginé par nul autre amant.
Ce prince était aussi tellement hors de lui-même, qu’il demeurait immobile à regarder Madame de
Clèves, sans songer que les moments lui étaient précieux. Quand il fut un peu remis, il pensa qu’il devait
attendre à lui parler qu’elle allât dans le jardin ; il crut qu’il le pourrait faire avec plus de sûreté, parce qu’elle
serait plus éloignée de ses femmes ; mais voyant qu’elle demeurait dans le cabinet, il prit la résolution d’y
entrer. Quand il voulut l’exécuter, quel trouble n’eut-il point ! Quelle crainte de lui déplaire ! Quelle peur de
faire changer ce visage où il y avait tant de douceur, et de le voir devenir plein de sévérité et de colère !
Intro :
→ C.A.O - Contexte : 1678 / sous Louis XIV / Classicisme = auteurs sous le règne de Louis XIV qui ont 1
idéal commun avec sobriété – style – clarté de la langue – volonté de plaire et d’instruire / siècle de
Molière, Racine…
- Auteur : Mme de La Fayette (XVIIe s) : petite noblesse / épouse le comte de La Fayette / écrit
anonymement (car femme et aristocrate) / ex. d’œuvres : La Princesse de Montpensier / La Princesse
de Clèves / Zaïde
- Œuvre : roman historique / au XVIe s, à la cour des Valois + sous Henri II / 1 er roman considéré
« psychologique » : pour la 1e fois détails des sentiments ou trouble des personnages / Résumé : Mlle.
De Chartres épouse le prince de Clèves sans réellement l’aimer, lors d’un bal, elle tombe ♥ du duc de
Nemours. Sa mère la met en garde, ce qui l’empêche d’aller au-delà d’une simple passion amoureuse.
- Extrait : thème : Nemours suit Madame de Clèves en cachette, il arrive chez elle la nuit pour la voir et
lui parler. Il l’observe en train de regarder son portrait. Il est ravi de ce qu’il voit. Mais il ressent vite
les limites de son bonheur. Dans la 4e partie du roman
LIRE LE TEXTE