Pourquoi la vérité fait-elle question ? Parce que se pose le problème du ou des critères qui
permettent de distinguer clairement une idée vraie d’une idée fausse. La vérité n’est pas un
attribut des choses. Ainsi, est ce que la certitude que j’éprouve face à une idée est une garantie
suffisante ou non de la vérité ?
Remarquons que si c’était le cas, la vérité ne ferait jamais problème. Il suffirait que je sois certain
d’une idée pour que ce soit vrai. Or, est ce que cette simple certitude nous préserve vraiment de
l’illusion ? Ne peut-on pas prendre pour vrai ce qui est faux et pour faux ce qui est vrai ?
Le propre de l’illusion est que l’apparence de la vérité d’une idée ne suffit pas à garantir sa vérité.
Le mensonge ne consiste pas à nier la vérité mais à la dissimuler. En ce sens, le véritable contraire à
la vérité est l’illusion c’est-à-dire la possibilité de se tromper.
Si, dès lors, il y a la simple certitude de vérité (certitude subjective) face à une idée, existe-il ou
non, en matière de vérité, un critère objectif qui nous permettrait de ne pas tomber dans l’illusion ?
Peut-on passer d’une simple persuasion (certitude subjective face à une idée) à une conviction
(certitude objective fondée sur des preuves rationnelles) véritable ?
Comme nous le verrons, la démonstration a pu apparaître comme modèle de vérité dans la mesure
où un discours démonstratif est un discours qui apporte en lui-même ses propres preuves.
Toutefois, la question se pose de savoir si tout peut-être objet de démonstration, existe-il une
démonstration qui serait pleinement concluante/ satisfaisante ?
D’autre part, cette question de vérité suppose aussi que nous demandons comment les sciences
construisent un certain modèle de vérité et sur quel fondement repose l’interprétation scientifique
et rationnelle du réel ? La vérité a-t-elle tant de sens en sciences ?
Par ailleurs, y a-t-il une seule interprétation de la vérité ? N’existe-il pas d’autres modèles
d’objectivité dont prétendent les sciences ? L’art ne pourrait-il pas être porteur d’une certaine vérité
sur l’homme et sur le monde ? Quel sens attribuait la vérité dans l’ordre religieux ? En quoi se
distingue-t-elle des vérités de raison ? Faut-il rechercher la vérité à tout prix ? Faut-il la préférer à
d’autres exigences et même la préférer à l’illusion ?
I. Le problème de l’illusion
D’emblée, comment nous apparaît la vérité de par sa forme et son sen ? De toute évidence,
on estime vraie une idée qui pour nous est objet de certitude et s’impose à notre esprit avec la
force de l’évidence c’est-à-dire est claire et distincte et produit ainsi un sentiment de certitude en
nous.
Remarquons que le langage commun établi ce lien nécessaire entre vérité, certitude et évidence
dans la mesure où on dira pour signifier la vérité « c’est certain/ vrai/ évident/ clair/ sans doute ».
Ces expressions laissent supposer ce lien nécessaire.
C’est bien de cette façon que Descartes commence à définir la vérité dans les Règles pour la
direction de l’esprit. Pour lui, une idée vraie est une idée dont notre esprit a une pleine et entière
intuition et tel que cela produit en nous une absolue certitude. L’intuition vient du latin intueri qui
signifie voir pleinement quelque chose sans qu’aucune obscurité/ confusion/ doute ne demeure et
produit une absolue certitude face à ce que l’on pense. Autrement dit, pour Descartes, la vérité
consiste dans l’évidence d’une idée et telle que cette idée est si claire, distincte, lumineuse et
précise qu’elle produit un sentiment de certitude.
, Remarque : la pensée occidentale (mais pas seulement) est fondé sur le modèle de l’optique où on
retrouve cette pleine vision des choses.
Toutefois, si on s’en tenait à cette définition de la vérité par l’évidence et par la certitude, la vérité
ne ferait jamais ni question ni problème. Or, il n’est aucunement besoin d’être un grand penseur
pour savoir que l’on peut éprouver un sentiment très fort et sincère de certitude tout en étant
dans l’erreur.
Dès lors, il se peut que le sentiment de certitude que nous éprouvons face à une idée soit
simplement trompeur. Je peux prendre pour évident, clair et distinct ce dont la fausseté,
l’obscurité et la confusion échappent à mon esprit. Autrement dit, la simple persuasion ne
garantirait pas la vérité d’une idée car ce qui est vraisemblable pour notre esprit peut se découvrir
faux. On ne peut jamais, en matière de vérité, se fier à ce qui est vraisemblable c’est-à-dire qui a la
simple apparence de la vérité et c’est ce qui fait le problème de vérité d’une idée. Tout problème
de vérité tient au fait qu’il peut y avoir contradiction entre la vraisemblance et la vérité elle-même.
Qu’est ce qui vient semer la confusion entre vérité et apparence ? C’est le problème de l’illusion qui
consiste dans le fait que le faux peut très prendre l’apparence du vrai et parfois même être plus
vraisemblable que la vérité elle-même. L’illusion est donc l’interversion des valeurs du vrai et du
faux ; le vrai peut passer pour faux et vice-versa. C’est cette ruse du faux par laquelle le faux prend
l’apparence du vrai c’est-à-dire que l’illusion est toujours cette contre-façon du faux, et qui fait
toute cette difficulté à rechercher le vrai.
C’est justement toute cette question, ce problème de l’illusion qui ouvre la question de la vérité
selon Platon dans son Allégorie de la caverne de son œuvre la République. Qu’est-ce que nous
raconte Platon ? Socrate nous dit qu’au fond les hommes que nous sommes, sont semblables à des
prisonniers enchaînés au fond d’une caverne ayant les yeux rivés sur le fond de cette caverne où
défilent des images trompeuses, c’est-à-dire des ombres. Or, pour ces prisonniers, loin d’être de
simples apparences sont au contraire la réalité même des choses et cela parce qu’ils n’ont jamais
pu comparer ce qu’ils voient avec autre chose. Selon Socrate, le propre de celui qui est dans
l’illusion est que ce qui est faux lui semble vrai. Pour ces prisonniers, rien n’est plus vrai que ce
qu’ils voient. De plus, ce n’est pas un hasard s’ils sont enchaînés et prisonniers car l’illusion n’est
pas seulement ce qui nous trompe mais aussi ce qui nous prive de liberté.
Au passage, on comprend dès lors pourquoi une réflexion sur la vérité prend place dans une œuvre
qui porte sur la politique, de la société juste. En effet, Platon dans cette allégorie ne cesse de
souligner à quel point la recherche de vérité et de liberté sont inséparables. Effectivement, le
propre de l’illusion est qu’elle est aussi ce qui nous asservi, nous détourne d’une liberté possible
(elle aussi la meilleure arme des tyrans) et trompe notre esprit.
Ainsi, rechercher la vérité c’est s’émanciper, conquérir cette liberté. Socrate nous dit dans
l’allégorie que supposons qu’on arrache un prisonnier de ses chaînes et qu’on lui fasse remonter le
chemin qui mène hors de la caverne (monde d’illusion) à la pleine lumière solaire, le faire tendre à
la vérité.
Ce que nous disent ici Platon et Socrate et qu’on ne peut se libérer seul de l’illusion car on n’a pas
conscience de l’illusion et que l’on croit être dans le plein séjour de la vérité. La critique de
l’illusion n’a lieu que dans le dialogue des pensées et dans la quête solitaire de vérité.
Remarquablement, Socrate relève que le prisonnier libéré souffre en sortant de la caverne et si on
lui laissait le choix, il retournerait auprès de ses camarades. Cela nous découvre un autre aspect de
l’illusion : elle est ce qui nous berce c’est-à-dire qu’il y a un certain confort, un certain plaisir à
l’illusion (⇒ esclave qui prend ses chaînes pour un collier de fleurs). Ainsi, les certitudes, même
fausses, sont confortables.
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